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Bordeaux : le vin rouge sort du frigo

Le vin rouge à consommer frais séduit de plus en plus les palais, en quête d’une expérience gustative légère, fruitée, originale et facile à boire… Le vignoble bordelais, grâce à son terroir calcaire et son climat océanique, a ici une belle carte à jouer. À condition de servir des idées fraîches, tant sur le fond que sur la forme. Et si le salut des vins rouges de Bordeaux passait par le réfrigérateur ?

Le vin rouge se met de plus en plus au frigo pour être servi bien frais

De nouveaux profils de vins

L’élaboration des vins rouges à déguster frais doit respecter un itinéraire précis : peu ou pas de tannins, donc sans élevage en barriques, et léger en alcool. Avec l’objectif de privilégier le fruit et la fraîcheur, il convient de sélectionner les bons cépages. À Bordeaux, on oublie le Gamay et le Pinot Noir, cépages naturellement associés aux vins rouges légers à consommer frais. Les vignerons bordelais vont opter pour le Merlot et le Cabernet Franc, voire le Malbec, pour imaginer des cuvées sur la souplesse.

Dans la vigne, le vigneron va plutôt rechercher la sous-maturité en récoltant relativement tôt afin de privilégier l’acidité et limiter la sucrosité. L’objectif demeure de proposer des vins à faible degré (sous la barre des 13°).

Dans le chai, la durée de macération doit être courte afin de limiter l’extraction et obtenir une couleur rouge claire. La fermentation à basse température permet de préserver le fruit. Enfin, dans la même optique, un élevage en cuve inox et une mise en bouteille rapide sont des conditions essentielles. Comme pour le rosé, le millésime de l’année sera le plus porteur pour ce style de vin.

Des idées fraîches pour le packaging

Comme toujours en marketing viticole, lors de lancement de nouveaux produits, le contenant est au moins aussi important que le contenu. Le nom, la bouteille, l’étiquette, la contre-étiquette et le bouchage doivent communiquer sur le concept. Sur ce style de vin rouge, le vigneron dispose d’une plus grande liberté créative.

On peut oublier le nom de château et opter pour une marque au nom évocateur. Le choix de la bouteille, bordelaise ou non, est ouvert. Certains vignerons n’hésitent plus à mettre leur Bordeaux rouge à boire frais en canette (lire à ce sujet le dossier dans notre précédent numéro de juillet-août). D’autres optent pour la capsule à vis pour ces vins à rotation rapide plébiscités dans les bars à vins branchés.

Enfin, une vraie réflexion doit être initiée sur l’habillage, car il s’agit d’une nouvelle façon de consommer le vin rouge. Il est recommandé d’expliquer clairement le concept en communiquant a minima la bonne température de service. Certaines cuvées vont plus loin en proposant des étiquettes qui changent de couleur en fonction de la température ou disposent de contre-étiquettes avec un espace thermochromique indiquant la température recommandée.

Exemple de verre de vin rouge frigo servi frais comme le claret

La température en baisse

Si les vins rouges de Bordeaux se dégustent autour des 18°C, ces cuvées à boire fraîches s’apprécient plutôt entre 12°C et 14°C. L’idée n’est pas de les consommer trop froides, ce qui aurait pour conséquence immédiate de casser les arômes.

Au réfrigérateur, 30 minutes à 1 heure suffisent bien souvent à révéler le fruité et la fraîcheur aromatique. Pour une dégustation improvisée, le seau à glaçons fera l’affaire. Quoi qu’il en soit, il n’est pas recommandé de mettre un vin (rouge ou autres couleurs d’ailleurs) au congélateur, le choc thermique pourrait lui être fatal. L’ajout de glaçons dans votre verre de vin rouge est à éviter également en raison évidemment du risque de dilution. Le Bordeaux rouge piscine, on préfère oublier !

À l’abordage de la tendance

À l’occasion de la dernière édition de Bordeaux Fête le Vin, l’École du Vin proposait pour la première fois un atelier autour des vins rouges à consommer frais. L’ambition était d’initier les consommateurs à cette nouvelle approche de la dégustation des vins rouges de Bordeaux. Passé l’effet de surprise, le public a semblé conquis par l’expérience.

« J’ai l’habitude de boire des rouges légers un peu frais mais je n’avais jamais tenté avec un Bordeaux, ça marche bien aussi », « Je n’aime pas le rosé donc un rouge frais c’est une bonne option pour l’apéro », ont témoigné les participants. Pour l’occasion, un 100 % malbec, servi à 12°C, a fait l’unanimité.

Ce genre d’ateliers peut aussi donner des idées à des vignerons pour proposer des dégustations « fraîches » à la propriété, afin d’illustrer l’impact de la température de service mais aussi de convaincre les sceptiques à l’excellente buvabilité de leur cuvée à basse température.

Un nouvel élan de fraîcheur

Impensable il y a encore quelques années, déguster un vin rouge sorti du frigo est devenu une option pour certains consommateurs en quête de fraîcheur.

Pour répondre à cette demande, les vignerons adaptent leurs méthodes de travail, en termes de choix de cépages, de culture de la vigne, de vinification, de mise en bouteille et de packaging. Avec ces vins rouges à déguster frais, le but est de proposer une nouvelle expérience de dégustation.

Encouragés par l’interprofession qui met régulièrement en avant la diversité des rouges de Bordeaux, des vignerons de la région commencent à se lancer.

Le vin rouge doit se réinventer

Le constat est implacable. La dernière étude statistique de l’OIV, présentée lors de l’édition 2024 de Wine Paris, est là pour le rappeler. En France, sur les 20 dernières années, la consommation de vin rouge a diminué de 39,9 % (consommation moyenne sur les périodes 2017-2021 vs 2000-2004). Quand on connaît l’importance du marché national pour les vins de Bordeaux (55 %) et le poids des vins rouges dans la production (81 %), l’inquiétude peut être de mise.

Le vin rouge doit se réinventer face à la concurrence accrue des rosés, blancs ou effervescents, mais aussi de la bière, du cidre et des cocktails. Avec pour point commun la fraîcheur, ces boissons ont su gagner des parts de marché au détriment des vins rouges.

Le réchauffement climatique conduit logiquement les consommateurs à se tourner vers des options plus rafraîchissantes et désaltérantes, notamment en période estivale. En dehors de Bordeaux, de grands noms du vignoble français, comme Chapoutier ou Gérard Bertrand, ont déjà préempté ce marché des vins rouges légers à boire frais.

Si les cuvées rouges tanniques élevées en barrique ne séduisent plus autant les consommateurs, c’est sans doute car elles sont moins adaptées aux nouveaux instants de consommation. Le vin rouge a quitté la table familiale et peine à trouver sa place en dehors des repas, à l’apéritif ou lors d’occasions plus informelles. L’été, le rosé a longtemps été considéré comme la seule option avec la salade estivale ou les tapas. Mais ça, c’était avant que le rouge bien frais ne devienne la nouvelle star des barbecues et des planchas !

Cette nouvelle expérience de dégustation est aussi un outil marketing pour recruter de nouveaux amateurs, plus jeunes et néophytes, moins attachés à la tradition et en rupture avec le modèle de consommation de leurs parents. De plus, ces vins rouges légers à boire frais peuvent aussi être une clef d’entrée pour découvrir le reste de la gamme.

Enfin, si l’on considère les perspectives à l’export, nul doute que cette tendance peut aussi se développer sur de nouveaux marchés porteurs, en quête de fraîcheur, comme l’Afrique.

Mickaël Rouyer, consultant en marketing du vin

> Lire l'interview de Stéphane Derenoncourt, vigneron et consultant, qui a fait le choix de sortir son nouveau vin à déguster frais en appellation Bordeaux.