FGVB : «Confrontés à une crise inédite, nous sommes les grands oubliés de l’État»

Yann Le Goaster (à gauche), directeur de la FGVB, et Jean-Marie Garde, président.

L’assemblée générale de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux (FGVB) s’est déroulée le 6 juillet dernier avec une capacité d’accueil restreinte du fait du COVID-19. Au moment de cette assemblée générale, les annonces du gouvernement concernant le soutien à la viticulture n’étaient encore que partielles. La situation économique tendue pour l’ensemble de la profession au sortir des mois de confinement était au coeur des débats.

« Nous sommes confrontés à une crise inédite. Et pourtant, l’agriculture en général et la viticulture en particulier, sont les grands oubliés de l’État », lâchait Jean-Marie Garde, président de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux.
Ce 6 juillet, Jean-Marie Garde se voulait analytique : « Cette crise est multifactorielle : baisse structurelle de la consommation en France, ralentissement de la Chine – notre principal marché à l’exportation – taxes sur le marché US, incertitudes liées au Brexit… sont autant d’éléments qui expliquent le décalage important entre offre et demande, avec des stocks qui devraient atteindre 8,9 millions d’hectolitres à la fin de cette campagne, pour une sortie prévisionnelle de 3,6 millions d’hectolitres. » (Corrigée à 3,8 M hl)
Une situation rendue plus incertaine encore quelques jours plus tard avec les événements à Hong Kong et le maintien pour au moins trois mois de la Taxe Trump annoncé le 12 août.
« Si la récolte 2020 est comparable à la précédente (environ 5 millions d’hectolitres), nos disponibilités avoisineront 14 millions d’hectolitres, un niveau jamais atteint, synonyme de baisse des prix et de maintien des prix du vrac à des niveaux très inférieurs aux coûts de production. »
Rendements. Jean-Marie Garde a abordé la question des rendements à soumettre à l’INAO. « Le rôle de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux a toujours été d’harmoniser les rendements. Certains viticulteurs, cette année, ont eu recours à la distillation, d’autres non. Je vous invite à aller dans le sens de l’harmonisation des propositions des ODG. Ce n’est ni évident, ni facile. »
Françoise Lannoye a défendu le point de vue des Côtes de Bordeaux : « Notre position n’est pas de dire que l’on fait mieux. Nous avons la particularité d’avoir peu de ventes en vrac, mais beaucoup de ventes en bouteilles. Notre stock est équivalent à celui que nous avions il y a 10 ans. La question que nous posons est plutôt : que fait le négoce pour améliorer les ventes ? »
Stéphane Héraud, ancien président des Côtes de Bordeaux, a apporté la précision suivante : « Le rendement du cahier des charges est le plus bas de l’ensemble des appellations. La réalité du rendement réel est de 40 à 45 hl/ha. J’entends cette partie politique de défense de l’ODG. Mais j’entends de façon plus forte la nécessité d’un esprit collectif. Il n’y a pas lieu d’être dans un rendement politique au vu de la situation conjoncturelle. »
Claude Gaudin (ODG Médoc, Haut-Médoc, Listrac Médoc) : « Regardez ce qui se passe depuis 1995. Nous subissons des pertes de rendement, et elles sont essentiellement d’origine climatique. Nous devons en même temps faire face à des coûts de revient en hausse. L’autre question qui se pose est : « Comment je maintiens la valorisation ? » »
Bernard Farges, président de la CNAOC, avec un regard distancié, apporte son analyse : « Toute nouvelle demande au-delà du cahier des charges sera très difficile à justifier quand dans le même temps, nous demandons à l’État une aide à la distillation, au stockage et des exonérations de charges. Demander plus que ce que nous autorise le cahier des charges risque de nous mettre dans le rouge. »
Jean-Samuel Eynard (Côtes de Bourg et FNSEA 33) : « Il nous faut pouvoir traduire les éléments de l’offre et de la demande. Certaines appellations ont des capacités d’offres qui ne sont pas en phase avec leur capacité de commercialisation. Nous avons été capables, en deux exercices, de nous rajouter huit mois de stock supplémentaire. Nous devons donc faire preuve de réalisme et de cohésion. »
Aides de l’État. Quant à l’aide de l’État face à une telle conjoncture, Jean-Marie Garde la regarde avec interrogation : « Le montant des aides proposées est très en deçà de notre poids économique et de notre excédent dans la balance commerciale. »
Face à cette situation difficile, Jean-Marie Garde se fait l’écho des réflexions menées au sein de la FGVB. « Nous avions déjà l’an dernier défini les lignes directrices d’une stratégie visant à nous permettre de surmonter nos difficultés structurelles. Notre conseil d’administration les a réaffirmées, et complétées lors des réunions qui se sont tenues en visioconférence au printemps. » Parmi ces axes de travail, émergent certaines pistes :
Assurer la gestion de l’offre. « Il nous faut mettre en place des outils permettant d’assurer l’équilibre entre offre et demande. Cette action doit être menée conjointement avec le négoce. Nous devons améliorer la connaissance de nos marchés (vente par AOC et par circuit), optimiser la gestion de nos AOC et mieux cibler nos actions promotionnelles. La mise en place de ces tableaux de bord n’a que trop tardé. »
Garantie qualitative. Au-delà d’éléments conjoncturels, Jean-Marie Garde veut se projeter dans l’avenir pour soutenir l’image des vins de Bordeaux. « Nous avons partagé le constat que nombre de nos AOC souffraient d’une hétérogénéité qualitative des vins mis en marché. Cela nous a conduits à constituer un groupe de travail avec pour objectif d’accompagner les ODG qui souhaitent améliorer le niveau qualitatif minimal des produits, et optimiser le système de contrôle pour renforcer la garantie qualitative de l’appellation. »
Dominique Guignard, vice-président de la FGVB a fait valoir un autre regard lors de cette assemblée générale : « Il y a 20 ans, nous produisions 6,5 millions d’hectolitres, et nous en vendions 5,5 millions. La part de Bordeaux était de 2,5 % du marché mondial, aujourd’hui, nous représentons 1,6 %. Aujourd’hui, Bordeaux n’est plus synonyme de qualité. La notion de qualité est capitale pour Bordeaux et pour toutes nos AOC. »
Bernard Farges, président du CIVB, a tenu à remettre en perspective le poids des uns et des autres dans les débats : « L’entité Bordeaux pèse pour 3 millions d’hectolitres. Les contingences sont différentes de la gestion d’une appellation qui produit 100 000 hectolitres ! »
La mobilisation de chacun. Jean-Marie Garde a tenu à recadrer les débats, et en appelle à la mobilisation de chacun : « Bordeaux connaît une crise. C’est l’occasion de tout remettre à plat, de repenser nos façons de fonctionner. Je suis confiant sur notre capacité de rebond qui nécessite cependant de ne pas céder à la tentation du repli sur soi, sur son appellation, son exploitation. L’engagement collectif nous permettra d’assurer la pérennité de la viticulture girondine. »
 

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