Saint-Émilion : plus de 80 % des viticulteurs ont déjà une certification environnementale

Jean-François Galhaud, président du Conseil des vins de Saint-Émilion

Jean-François Galhaud, président du Conseil des vins de Saint-Émilion, avait introduit, dès 2015, une volonté de virage environnemental pour l’appellation.
Aujourd’hui, l’INAO a validé une obligation de certification environnementale dans le cahier des charges au 1er janvier 2023. Une première nationale voire mondiale pour un vignoble.

« Jean-François Galhaud sera trop modeste pour le dire, lâche discrètement Franck Binard, directeur général du Conseil des vins de Saint-Émilion, mais dès sa prise de fonction de président en 2015, il avait institué une commission environnement. »
Jean-François Galhaud assume cette décision : « Il fallait s’y mettre. Il y a toujours eu à Saint-Émilion une tradition d’innovation de nos viticulteurs. »
Durant plusieurs années, dans le silence et la discrétion, Saint-Émilion a travaillé à la mise en place de groupes de travail pour discuter, pour avancer, pour réfléchir sur l’enjeu environnemental de l’appellation (Saint-Émilion, Saint-Émilion Grands Crus, Puisseguin-Saint-Émilion, Lussac-Saint-Émilion.)

Union Girondine : Jean-François Galhaud, pouvez-vous nous expliquer comment Saint-Émilion a abordé la problématique environnementale ?

Jean-François Galhaud : Nous en sommes à plus de 80 réunions de sensibilisation sur les certifications environnementales depuis quatre ans. Des groupes de 10 à 12 personnes qui ont échangé. À ce jour, plus de 400 viticulteurs ont participé à ces temps d’échanges. L’idéal serait que Saint-Émilion devienne une vaste ferme Dephy à l’échelle de l’appellation.

U. G : Les viticulteurs ont-ils avancé facilement dans cette direction ?

J-F. G : Philippe Bardet nous le disait quand on a commencé : « Ce sont des engagements qui sont dignes de fierté ». Nous observons des innovations sur nos territoires qui sont incroyables. Notre volonté est de créer un mouvement général par l’exemplarité.

« Saint-Émilion oblige à l’exemplarité ! »

U. G : Pourquoi cette notion d’exemplarité ?

J-F. G : Parce que nous sommes à Saint-Émilion ! Saint-Émilion oblige à l’exemplarité. Nous avons ici un devoir d’exigence. Je suis président de l’appellation qui, j’en suis ardemment convaincu, a la plus grande notoriété au monde.
Je me souviens d’un voyage aux États- Unis, j’étais bloqué dans les transports. Un Américain me demande ce que je faisais. Je lui réponds : « Wine business ». Il me dit alors : « France, Saint-Émilion ! » Et quand j’ai ajouté : « I am from Saint-Émilion », vous auriez vu cela, il avait les yeux qui brillaient. C’est en cela que Saint-Émilion oblige.
Nous ne devons pas nous laisser-aller ! Nous devons transmettre notre patrimoine viticole aux générations futures !

U. G : De quelle façon cet élan environnemental se traduit-il ?

J-F. G : Nous sommes en fin du dépouillement des déclarations de revendication. Mais je peux vous annoncer que plus de  80 % de nos vignerons sont certifiés ou en phase de certification.
À ce jour, ce sont 19 % de notre vignoble qui sont en bio. Et le constat que l’on dresse depuis six mois est que les viticulteurs qui venaient à des réunions d’information sur le HVE reviennent aujourd’hui sur le bio. En quatre ans, nous sommes parvenus à créer un terreau favorable et une envie d’aller plus loin.

U. G : Avez-vous toujours en tête d’avoir l’obligation d’une certification environnementale dans votre cahier des charges au 1er janvier 2023 ?


J-F. G : Nous avons été moteurs sur ce point. Nous avons fait bouger les lignes, et ce n’était pas évident d’intégrer cette condition dans notre cahier des charges.
Nous nous sommes concertés avec l’INAO, qui est aujourd’hui prêt, et qui attend notre « top départ » pour engager l’inscription. On pense donner le « go » en février 2022, quand 90 % des vignerons de l’appellation seront engagés. De façon que ce soit inscrit au 1er janvier 2023.
Ce n’est pas rien, car cela signifie que si on n’est pas certifié, on n’est plus apte à produire.

U. G : Vous êtes chef d’entreprise, pensez-vous que l’écologie est compatible avec des impératifs économiques ?

J-F. G : C’était la condition impérative. On ne veut rien entreprendre qui ne soit pas économiquement rentable. Nous voulons être vertueux dans un esprit d’économie durable. C’est pour cette raison que nous avons recruté une ingénieure agronome dotée de qualifications sur l’économie des exploitations viticoles en fonction des parcours culturaux.
Vous comprenez, il n’est pas question d’engager un propriétaire d’exploitation dans une démarche d’agroécologie si cela venait à altérer la rentabilité de son entreprise.

U. G : C’est compréhensible, mais à qui s’adresse-t-on quand on constate que l’on penche du mauvais côté économiquement, alors que l’on engage une démarche culturale vertueuse ?

J-F. G : C’est pour cela que nous avançons en petits groupes. Dans chaque groupe, nous avons un viticulteur pilote qui a déjà mené des actions. Nous partageons les expériences positives et négatives. Certains se sont déjà plantés et ce partage d’expérience est riche. Les échecs aussi aident à avancer.

U. G : Vous parlez de cette démarche collective avec une certaine fierté et beaucoup d’enthousiasme.

J-F. G : Oui, c’est vrai. Et en toute modestie (il sourit), nous avons baptisé notre défi le « Grand Projet ». Et bien le jour du lancement, plus d’une centaine de vignerons y ont participé.
Ce Grand Projet est très  important.  Il est de pouvoir dire dans moins de 5 ans : à Saint-Émilion, vous pouvez vous promener sur ce territoire avec sérénité. Nous savons que nous sommes ici une force de développement œnotouristique.
La finalité se doit aussi d’être économique. Notre démarche vertueuse a pour enjeu de susciter une demande plus forte que notre offre. Saint-Émilion se doit d’être exemplaire. C’est cela notre devoir d’exigence.

U. G : Et une telle démarche a donc fédéré les troupes ?

J-F. G : Peut-être que notre syndicat avait perdu son rôle de syndicat pour être davantage un rôle de conseil. Mais je n’oublie pas l’origine de notre syndicat. Il s’est constitué en 1884, face à un élément extérieur qui était le phylloxéra. L’ADN de Saint-Émilion c’est cela, on se retrouve ensemble pour faire face à un enjeu. Ici, malgré notre diversité, 903 exploitations sur 7 500 hectares, nous avons, je crois, une cohésion et une entraide.
Pour vous donner un exemple, sur le projet Selerys, pour faire face aux orages de grêle, les plus gros ont accepté de payer plus cher pour que les plus petits puissent prétendre au dispositif. Face aux enjeux, face aux problèmes, nous avançons ensemble.

U. G : Rentrons dans le détail de votre Grand Projet. Comment s’articule-t-il ?

J-F. G : Nous avons dégagé six piliers d’action qui sont les suivants :
Des sols vivants et fertiles ;
Moins de pesticides et plus de produits de biocontrôle ;
Des paysages vivants et diversifiés ;
Une eau de qualité et bien utilisée ;
Relever le défi du changement climatique ;
Mettre l’humain au cœur du vivant.
Et ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il n’y a pas de hiérarchie d’un pilier sur l’autre. Tout est lié.
Chaque lancement d’action s’opère par un petit-déjeuner de travail pour aborder une thématique et s’en emparer. On invite aussi à cette occasion des experts en fonction des sujets abordés.
Les petits groupes s’y investissent avec une méthodologie à partir de fiches d’action qu’ils vont construire.

Tour de France 2021 :

500 000 visiteurs attendus

U. G : Pouvez-vous nous en donner des exemples concrets ?

J-F. G : Nous allons lancer une action importante de plantation de haies et d’arbres pour renforcer la biodiversité du paysage.
N’oublions pas que nous sommes sur un territoire inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Lequel met au cœur de son action la transmission aux générations futures, c’est ce que nous faisons.

U. G : 2021 est une grande année pour Saint-Émilion et les vins de Saint-Émilion puisque vous accueillez le Tour de France.

J-F. G : Oui, c’est un grand moment. La société du Tour de France nous annonce entre 500 000 et 700 000 visiteurs pour l’étape, si les autorisations sanitaires le permettent.

U. G : Comment allez-vous mettre en avant les vins de Saint-~milion et du Libournais ?

J-F. G : Nous sommes pilotes et en coordinations avec les deux communes (Libourne et Saint-Émilion), qui nous ont chargés de l’animation du parcours du Tour de France. Et pour l’ensemble des appellations Saint-Émilion, Pomerol et Fronsac.
Nous avons monté un programme commun, qui propose des portes ouvertes sur l’ensemble de ces appellations du  14  au 18 juillet, soit durant cinq jours. Nous aurons une opération qui va se nommer « L’instant Saint-Émilion, Pomerol, Fronsac » en direction des cavistes et de restaurateurs.
Et le jour de l’étape du contre-la-montre de Libourne à Saint-Émilion (le 17 juillet), nous allons disposer 7 bars à vins le long du parcours. Nous présenterons très bientôt le détail de notre programme complet.

Propos recueillis par Emmanuel Danielou

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