Produire du rosé : les étapes-clés vues par l’œnologue-conseil
L’œnologue Frédéric Eichelbrenner, responsable du laboratoire Gauthier à Sauveterre-de-Guyenne détaille les étapes clés, nécessitant la plus grande vigilance de la part des viticulteurs qu’il conseille dans l’élaboration de leurs cuvées de vins rosés.

Bien identifier le produit que l’on veut faire et obtenir un jus irréprochable avant fermentation. Pour l’œnologue Frédéric Eichelbrenner, c’est à partir de ces deux grands objectifs que sont définies les étapes clés à mettre en œuvre pour réussir une cuvée de vin rosé. « C’est bien connu, le vin rosé est un produit très technique, précise-t-il. Pour autant, lorsqu’on accompagne des viticulteurs pour produire ce type de vin, la phase de préparation en amont et d’écoute réciproque est primordiale. C’est vrai pour tous les vins mais ça l’est encore plus pour les rosés. Il est donc essentiel pour l’œnologue-conseil de bien comprendre le style de vin rosé que souhaite élaborer le viticulteur, de l’accompagner pour mieux préciser sa demande, et par la suite, de bien se faire comprendre du viticulteur quand il s’agit de mettre en œuvre telle ou telle action pratique. »
Choix des parcelles
Le travail d’élaboration d’un vin rosé commence par la sélection des parcelles. Celle-ci découle du profil de rosé souhaité selon que l’on cherche à faire un vin « plutôt clair », « amylique » (bonbon anglais), « sur le fruit rouge », plutôt « tendu » ou « avec une bonne sucrosité ». « Dans un premier temps, le choix du cépage est primordial. En Gironde, on peut faire du rosé avec du malbec, du merlot, de la carménère, du petit verdot ou des cabernets, et même, avec un faible pourcentage de sauvignon ou de sémillon. Chaque cépage a un style et une époque de maturité optimale pour le rosé et celle-ci peut être différente de celle du rouge. Par exemple, un merlot destiné à une cuvée de rosé se ramassera plutôt 15 jours avant sa maturité de vinification en rouge. La façon culturale, l’âge de la vigne et le terroir, qui ont un impact sur la maturité des raisins, auront forcément aussi une incidence sur le style du rosé, lui- même directement influencé par la maturité du raisin. »
Ainsi, une parcelle avec un potentiel « fruit frais » produira un rosé fin aromatique et frais. Une autre parcelle plus « fruit mûr » donnera un rosé plus gras, avec de la sucrosité et un peu chaleureux. Si la parcelle subit un stress hydrique modéré, les conditions seront favorables aux précurseurs aromatiques. Quant à la parcelle « fruit sur-mûr », elle produira un rosé déséquilibré, peu aromatique, lourd et alcooleux.
D’une façon générale pour garder l’acidité et la fraîcheur, on préférera donc les parcelles connues pour « ne pas souffrir de surmaturité » et qui présentent un peu de vigueur. On évitera une concentration trop importante en sucres, et la conduite de la vigne visera à protéger les raisins du soleil. On gardera donc du feuillage pour préserver cette fraîcheur mais sans pour autant sacrifier l’état sanitaire.
Cela dit, ces choix parcellaires ne sont pas immuables. Selon la climatologie du millésime et l’état sanitaire des dernières semaines avant vendanges, mieux vaut se garder la possibilité de faire des ajus- tements de dernière minute pour changer de parcelle au cas où celle pressentie pour produire du rosé n’évolue pas dans le sens souhaité. « Par exemple, si le cabernet sau- vignon réservé pour un rosé très fruité a du mal à mûrir et qu’il conserve ses notes de poivron vert, mieux vaut en effet changer son fusil d’épaule. »
Le choix de la date de récolte est aussi un point très important. Si le profil de rosé recherché est très aromatique, axé sur les « thiols », la fenêtre optimale de vendange s’étale au grand maximum sur 3 à 4 jours.
4 points critiques à la récolte
À la récolte, quatre points critiques sont à observer : l’acidité, le chargement en sucres, l’aromaticité, et enfin la couleur, ou plutôt la teinte, sachant que l’on recherche ici le plus de couleur « rosé » possible et le moins de couleur « jaune » possible. Cette teinte idéale est directement liée à l’acidité du moût, aux conditions de ramassage, à la température de récolte, mais aussi à la qualité de séparation des jus au pressurage et à la capacité de refroidissement des jus.
L’influence de la température de ramassage est ici encore plus importante que pour le blanc. Un moût de blanc qui s’oxyde légèrement peut déjaunir facilement. Ce n’est pas le cas pour le rosé. Pour la récolte, on essaie donc de viser le moment le plus frais de la journée et parfois, cela peut être 5 heures du matin.
« Une fois la vendange au chai, on la protège avec les moyens à disposition chez le viticulteur, que ce soit à la réception ou au moment du pressurage. D’une façon générale, je ne suis pas pour la course au suréquipement. On s’adapte à chaque situation et à chaque millésime, c’est le cœur de notre métier, tout en sachant que l’enjeu est avant tout de travailler dans des conditions économiquement viables pour le viticulteur. Autrement dit, on peut tout à fait accompagner un viticulteur qui n’a pas de pressoir pneumatique avec inertage et produire au final un vin rosé très qualitatif. Chez certains clients, la location d’un pressoir pour ces cuvées peut aussi être envi- sagée comme une solution. Encore une fois, on s’adapte à chaque situation. »
Un jus irréprochable
Un des deux objectifs de la vinification en rosé étant de produire un jus « irréprochable » avant le lancement en fermentation, l’étape préfermentaire est essentielle, plus ou moins comme pour le blanc, mais en plus délicat. « Une stabulation à froid sur bourbes fines peut avoir une incidence sur le profil du vin. En outre, au débourbage, à l’aide de collages appropriés, on peut enlever des défauts de netteté du jus, d’oxydation, mais également modifier la sensation.
Côté pratique, si le prélèvement est réalisé le soir, il doit être conservé au frigo pour éviter la fermentation en bouteille puis porté le matin au labo à la première heure. Pour un débourbage réalisé le matin, l’échantillon est apporté immédiatement au labo pour la vérification de la turbidi- té et les différentes analyses (sucre avec degré potentiel, azote organique et azote minéral, et aussi pH, acidité totale, SO2 et acide malique). « Après quoi, c’est là que l’on appelle nos clients pour leur donner, ou pas, le feu vert du départ en fermentation. »
Une fermentation maîtrisée
La réussite de la fermentation est ensuite conditionnée par trois grands paramètres : l’utilisation de levures adaptées quand le vigneron ne fait pas le choix de levures indigènes, la température de fermentation, qui se situera entre 14 et 20 °C selon le profil de vin que l’on veut faire et l’alimentation azotée des levures.
« On conseille de privilégier une température constante de fermentation, ce qui donnera une expression aromatique plus franche. En règle générale, plus une température de fermentation est fraîche, soit entre 13 et 15 °C, plus les arômes seront amyliques et fermentaires. Plus la température est élevée, plus les arômes de cépage, qu’ils soient fruités ou thiolés, seront révélés. Enfin, chaque levure possède une plage d’expression différente selon la température, la nutrition azotée et l’apport d’oxygène. C’est à l’œnologue de bien connaître les caractéristiques des levures qu’il conseille afin de les mettre dans les meilleures dispositions de révélation aromatique pour un objectif donné. Pour ce qui est de l’azote, en règle générale, une alimentation azotée minérale favorise la multiplication des levures et la synthèse d’arômes fermentaires, tandis que l’alimentation azotée organique favorise la viabilité des levures et l’obtention de vins complexes et charnus. »
Assemblage et "malos" sur rosés
Chez les viticulteurs qu’il accompagne, Frédéric Eichelbrenner, propose parfois des rosés d’assemblage. Comme on peut en effet produire des rosés à partir de différents cépages et que chaque cépage est différent, l’assemblage avant ou après fermentation permet de tirer le meilleur parti de chacun.
« L’idée ici est de mettre en œuvre une vinification adaptée à chaque cépage selon la turbidité, les levures, la nutrition azotée et la température, de façon à mettre en valeur le raisin que l’on a vendangé en fonction du profil produit choisi. L’assemblage permet ensuite de finaliser le vin que l’on veut réali- ser en jouant, comme sur un vin rouge, sur la synergie entre cépages. Le malbec, par exemple, a une très jolie couleur bien rosée. Le merlot apporte de la sucrosité et les ca-bernets des notes thiolées. Enfin, pour ce qui est des fermentations malolactiques, je peux aussi être amené à les conseiller sur les vins rosés, notamment sur les vins sans sulfites, pour assurer la stabilité et limiter le risque de refermentation en bouteille. Une fois le vin fini, il faut également faire un bilan du résultat obtenu, des réussites et des difficultés rencontrées et, bien évidemment, du retour des clients afin de prévoir le millésime à venir. »
> Marie-Noëlle Charles