La production viticole mondiale en quête d’équilibre face à la demande

Les chiffres le confirment : l’année 2024 est la plus faible en termes de production mondiale de vin depuis 1961 (219 Mhl). Estimé à 225,8 Mhl, le volume de production s’affiche en baisse de 5 % par rapport au volume déjà faible de 2023. Les principales régions viticoles ont été affectées, tant au nord qu’au sud. « Il s’agit de la deuxième année consécutive de forte baisse. Comme en 2023, ce déclin est principalement dû aux événements météorologiques extrêmes ou atypiques, avec des gelées précoces, de fortes pluies et des températures élevées », a expliqué John Barker, président de l’OIV, lors de la conférence de présentation le 15 avril dernier.
La France enregistre sa plus faible production
La production de l’Union européenne en 2024 est estimée à 138,3 Mhl (hors jus et moûts), en baisse de 3,5 % par rapport à 2023. C’est le plus faible volume de production enregistré depuis le début du siècle, derrière 2017 (141,5 Mhl).
L’Italie, premier producteur, est l’un des rares à enregistrer un niveau de production moyen de 44,1 Mhl (+ 15 %).
La France, 2e au classement, a produit 36,1 Mhl, marquant une baisse significative de 11,1 Mhl (- 23,5 %) et de 17,9 % par rapport à sa moyenne quinquennale. Il s’agit de la plus faible production depuis 1957 (32,5 Mhl), « imputable à des conditions météorologiques défavorables dans l’ensemble du pays, de la floraison à la récolte », souligne l’OIV.
L’Espagne reste troisième avec un volume de 31 Mhl (+ 9,3 %), qui témoigne « d’une reprise partielle après les graves sécheresses de 2023 ».
Seules la Hongrie (2,7 Mhl, + 10 %) et la Grèce (1,4 Mhl, + 1,4 %) ont produit plus qu’en 2023.
Hors UE, la Russie (5,4 Mhl, + 19,3 %) affiche un niveau de production supérieur de 17,5 % à sa moyenne des cinq dernières années, atteignant son plus haut niveau depuis 2015.
La Chine, plus grand pays producteur de vin d’Asie, affiche un volume de 2,6 Mhl en 2024 (- 17 %).
Quatrième producteur mondial de vin, les États-Unis atteignent une production de 21,1 Mhl (- 17,2 %/ 2023), 15,5 % en dessous de la moyenne sur cinq ans.
Guère mieux dans l’Hémisphère sud, où les niveaux de production sont historiquement faibles en 2024 : 45,8 Mhl (- 3,6 %), en raison d’événements climatiques extrêmes. Il s’agit du niveau de production le plus bas des vingt dernières années. La récolte 2025 devrait toutefois renverser la tendance. Selon les premières estimations (les récoltes sont encore en cours dans certaines régions), le volume de production devrait croître de 2,6 % par rapport à 2024, notamment grâce à de très bonnes récoltes en Argentine.
Les surfaces viticoles diminuent
« Outre les aléas climatiques, cette faible production reflète aussi des ajustements dans certaines régions, pour répondre à la baisse de la consommation », estime le président de l’OIV, rappelant les campagnes d’arrachage partout dans le monde.
Mécaniquement, les surfaces consacrées à la viticulture diminuent. « Cette tendance est observée pour tous les types de raisins, les raisins de cuve étant les plus touchés ». En 2024, pour la quatrième année consécutive, la surface globale s’établit à 7,1 Mha (- 0,6 % par rapport à 2023).
Le paysage viticole de l’Union européenne n’échappe pas à la tendance avec une baisse de 0,8 %, pour un total de 3,2 millions d’hectares, dont 783 000 ha pour la France (- 0,7 %).
« Le rétrécissement constaté est aussi lié à l’emploi de meilleures technologies qui offrent une productivité plus importante, plus fiable et des rendements de meilleure qualité, ce qui va aussi dans le sens des tendances de consommation vers la premiumisation », indique John Barker.
Quelques exceptions toutefois, laissant entrevoir un ralentissement de la décroissance du vignoble mondial. L’Italie a replanté pour atteindre 728 000 ha en 2024, comme la Roumanie (187 000 ha, + 0,1 % par rapport à 2023), la Grèce (93 000 ha, + 0,4 %), Brésil (83 000 ha + 1,6 %) et la Russie (108 000 ha, + 2,2 %).
À noter que la superficie viticole indienne (185 000 ha en 2024) connaît une expansion significative depuis quelques années avec un taux de croissance annuel moyen de 4,5 % depuis 2019.
Des pays au potentiel encore inexploité
Côté consommation, le marché est impacté par une tendance baissière, observée depuis 2018. La consommation de vin mondiale est ainsi estimée à 214,2 Mhl en 2024, soit une baisse de 3,3 % par rapport à 2023. « L’Europe et les États-Unis ont progressivement modéré leur consommation, tandis que la popularité du vin n’a cessé de croître dans d’autres pays, souligne John Barker. Plusieurs facteurs entrent en jeu : les pressions liées à l’inflation persistante, l’incertitude des marchés qui ont affecté les prix mais aussi le changement des habitudes sociales et le comportement des nouvelles générations de consommateurs », justifie l’OIV.
Dans le TOP 3 des pays consommateurs de vin, les États-Unis restent en tête (33 Mhl), suivis, dans l’ordre, par la France (23 millions) et l’Italie (22 millions). En revanche, si l’on regarde la consommation par habitant, le Portugal (61 l) arrive premier, ce chiffre étant gonflé par un ratio élevé de touristes par rapport à la population locale. L’Italie (43 l) et la France (42 l) arrivent en 2e et 3e positions.
Autre indicateur positif, la consommation mondiale n’a jamais été aussi étendue : le vin est consommé dans 195 pays. Ceux qui combinent forte consommation et population importante présentent même « un potentiel inexploité majeur » selon John Barker et sont de fait « des marchés à surveiller de près ». Suisse, Autriche, Australie, Allemagne et Hongrie sont notamment parmi les plus gros consommateurs de vin par habitant.
De faibles rendements qui stabilisent le marché
Ainsi, lorsque l’on met en regard les chiffres de la production et ceux de la consommation, l’OIV estime l’excédent à environ 30 Mhl par an.
Et, « lorsque l’on prend en compte les utilisations industrielles (distillation, vinaigre, boissons à base de vin, spiritueux et autres) de la production, on s’aperçoit qu’il est très peu probable que la production dépasse la demande en 2024. Ce fut le cas pour la petite récolte de 2023 », rappelle John Barker. « Après deux années consécutives de faible production, nous arriverons probablement à un certain équilibre sur le marché mondial plutôt qu’une surproduction, même si la gestion des stocks est encore assez hétérogène selon les régions ».
Maintien du commerce international
Les exportations mondiales de vin en volume sont restées stables en 2024, à hauteur de 99,8 Mhl. « C’est un bon signe, juge John Barker, compte tenu de la faible production de 2023 et du climat économique et géopolitique actuels ». En termes de valeur, les exportations ont atteint près de 36 milliards d’euros soit le troisième chiffre le plus élevé jamais enregistré, et seulement 0,3 % de moins qu’en 2023. « La valeur se maintient à un prix moyen historiquement élevé à l’export, de 3,60 € par litre, près de 30 % supérieur à la période pré-Covid. L’explication la plus probable tient à l’inflation et à la faiblesse de l’offre ».
En 2024, les trois premiers exportateurs, l’Italie, l’Espagne et la France, ont exporté 54,6 Mhl de vin, représentant 54,7 % des exportations mondiales de vin en volume et 63,4 % en valeur.
Bien qu’elle se soit classée 3e en volume d’exportation, la France a une fois de plus enregistré la valeur d’exportation la plus élevée : 12,8 Mhl (+ 0,7 %), générant 11,7 milliards d’euros de recettes d’exportation (- 2,4 %/2023). « Alors que les vins en bouteille ont connu des résultats très similaires à ceux de 2023, la catégorie des vins effervescents a connu le déclin le plus important, avec une baisse de 2,4 % en volume et de 6,5 % en valeur, indiquant une baisse de 4,2 % du prix », précise le rapport.
Pour les importations, l’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis conservent leur position de premiers marchés au niveau mondial en 2024, représentant collectivement 38,3 % du volume total de vin importé dans le monde et 37,2 % en valeur.
Premiumisation du vin
Le vin en bouteille (< 2 litres) représente 50,8 % des volumes échangés au niveau mondial en 2024 et 67 % de la valeur. Cette catégorie a diminué de 1,8 % en volume mais est restée stable en valeur. « Cela confirme la tendance à vendre moins à un prix plus élevé », note John Barker. Le prix moyen à l’exportation observé en 2024 est de 4,70 €/l (+ 1,9 %/2023).
Le Bag-in-Box® (BiB) représente une part de 3,6 % en volume (- 5 % / 2023) et de 1,9 % (- 4,8 %) en valeur du total des exportations mondiales. Son prix moyen à l’exportation reste relativement stable à 1,90 €/l, comme en 2023 (+ 0,2 %).
Le vin en vrac (> 10 litres) a été la catégorie la plus performante, + 3,3 % en volume et + 9,8 % en valeur. « Cette croissance reflète probablement une demande plus forte à des prix d’importation plus bas ».
Défis et opportunités
Que ce soit en termes de production, de consommation ou de commerce, le secteur vitivinicole est confronté à un défi d’adaptation. « Pour ceux qui s’adapteront, c’est une opportunité. L’enjeu est de comprendre le nouveau consommateur ou plutôt les nouveaux consommateurs car le marché est devenu très hétérogène. La qualité, l’authenticité et l’héritage sont les atouts essentiels du vin. Mais le commerce international est bien plus qu’une simple transaction économique, c’est un échange culturel, de connaissances et de savoir-faire. C’est une rencontre entre des personnes et des lieux », conclut le président de l’OIV pour qui l’approche multilatérale, le dialogue et le partage des connaissances doivent faire progresser les intérêts communs de la filière.
> Claire Thibault