« Le cercle vertueux de l’œnotourisme, c’est la solidité de la base de données ! »

Rencontrer un vigneron à Bordeaux est fréquent. Pour un Français, un touriste, cette rencontre est une expérience, une découverte. L’œnotourisme participe à la mise en relation. Qui d’humaine devient aussi commerciale. Reste à la fidéliser. L’intérêt majeur : assurer des retours qualitatifs au vigneron, et permettre à celui-ci de créer de la marge. Rencontre avec la spécialiste Estelle de Pins.

Estelle de Pins est une femme active, énergique, avec un éclat de rire contagieux. Dans une autre vie, Estelle de Pins était contrôleuse de gestion et auditrice interne, et même responsable financière dans une importante maison de négoce de Bordeaux.
En 2009, cette femme de bureau a considéré qu’il était un secteur à défricher, à structurer et à développer : l’œnotourisme.
Estelle de Pins s’est alors investie sur le terrain, élargissant son domaine de compétence à plusieurs vignobles. A créé Alliandre, société conseil en œnotourisme. Puis différentes structures spécialisées dans la billetterie œnotouristique (Winetourbooking.com), ou les logiciels de l’œnotourisme (comme GDO Wine et GDO Fashion – https://gdo.wine/).
Comme la passion du vin lui collait à la peau, et l’envie d’en discuter avec les copines la titillait, elle a créé les Ladies Wines, un club des femmes du vin. Lequel, compte une centaine de membres à Bordeaux. Le concept a essaimé dans une dizaine de villes en France. Ce club permet à des femmes vigneronnes, des commerciales, des juristes, des responsables de ressources humaines, des secrétaires de domaines, des vendeuses de bouteilles ou de caisses de bois de se retrouver pour échanger.
Cette gestion de réseau, de mise en relation motive Estelle de Pins. Elle prend plaisir à permettre à des femmes du secteur viti-vinicole, venant d’horizons très différents, de vivre des expériences, de tisser des liens autour d’expériences qui jouent le rôle de trait d’union.
Cette philosophie des Ladies Wine est une déclinaison de ses engagements dans l’œnotourisme : « L’expérience crée de l’affectif. » Quand on aime un moment, on a tendance à aimer le vin découvert sur ce moment, et à fidéliser son achat.
« Dans une entreprise viticole, il existe deux façons de vendre ses produits : en B to B, (via des négociants, des cavistes, des restaurateurs, des chaînes de magasins) ou en B to C, c’est-à-dire directement aux consommateurs. »
« Cette relation directe avec le consommateur, les vignerons indépendants l’ont engagé depuis des années, avec les salons, leurs caveaux de dégustation. Quand on engage une démarche B to C, le meilleur moyen de créer une relation avec le client, c’est de le faire venir chez soi. »
Estelle de Pins constate que toutes les régions ne sont pas logées à la même enseigne. « Quand j’ai commencé cette activité il y a un peu plus de 10 ans, les Bordelais avaient peu de caveaux de dégustation. Et quasiment pas de boutique. » La visite constituait en un tour de chai, elle débute aujourd’hui à la vigne.
A contrario, dans d’autres régions, la notion de vente directe avait été développée, mais par des boutiques dans les communes d’appellation. « C’était le cas en Val de Loire ou en Provence. Mais à cette époque, l’œnotouriste n’était pas convié au domaine. »
« Cela a beaucoup évolué en Provence. Ou la mise en place de rendez-vous œnotouristique pour les clients s’est beaucoup développée. »

Bordeaux, en moins d’une dizaine d’années est devenu un lieu dynamique en matière d’œnotourisme. « Il faut souligner le rôle d’impulsion qu’a pu avoir Alain Juppé à travers la création de la Cité du Vin. À travers cet équipement, il a facilité l’ouverture des portes des domaines. Et dans cette lignée, Sylvie Cazes a joué un rôle majeur pour souligner l’importance du rôle de l’œnotourisme comme possibilité de diversification des exploitations viticoles. »
Estelle de Pins se souvient des balbutiements de cet œnotourisme en Bordelais : « Au départ, le plus souvent, on a mis des stagiaires pour répondre au téléphone. Et les premières demandent venaient des organismes touristiques. »
La spécialiste constate que le monde viticole est dominé par cette puissance technique (et non commerciale), puisque dans la quasi-totalité des cas, les directeurs généraux sont… des œnologues. « Or, les châteaux qui font évoluer les domaines et l’œnotourisme ont souvent des directeurs issus de la communication ou du marketing. »

La vente directe c’est de la marge !

Il n’existe pas un modèle en œnotourisme. Il faut garder sa capacité d’observation. Les Espagnols ont été les pionniers « en matière d’œnotourisme haut de gamme. Ils étaient très en avance sur le marché européen. » A contrario, les Italiens « ont mis du temps à se lancer dans la démarche. » Quant à la Suisse, « elle a beaucoup évolué en l’espace de 10 ans. les Suisses travaillent à la valorisation de leurs vins en Suisse, et à l’exportation. »
S’il est bien un point sur lequel insiste Estelle de Pins, c’est cette notion de valorisation des vins à travers l’œnotourisme.
L’œnotourisme est un travail de petits pas. « Quand vous faites du BtoB, par les volumes, les montants, vous intervenez sur le chiffre d’affaires. Sauf que la marge se fait le plus souvent sur le BtoC, même si cela représente une part minoritaire du chiffre d’affaires. Donc, certains se disent que cette partie de l’activité sur l’exploitation est négligeable. »
L’œnotourisme est pour Estelle de Pins un garde-fou : « Cela crée un réseau de distribution diversifié. Et vous pouvez bénéficier du retour du consommateur. Ceux qui travaillent le marketing l’ont bien compris. »
L’œnotourisme est aussi un moyen de gérer ses gammes de vins. « Avoir une entrée de gamme, c’est un moyen de valoriser le meilleur, et ainsi favoriser la vente des produits à valeur ajoutée. »
Remettre le client final au cœur de la réflexion est majeur. Peut-être ces clients vont-ils se transformer en ambassadeur, en prescripteur, en passeur de commande groupée. Et c’est là que la gestion d’une base de données juste et précise prend tout son sens. « Il est capital d’avoir une base de données fiable et animée. C’est la base ! On constate bien que les domaines viticoles les plus avertis savent qu’un mailing précis est efficace. Cela signifie envoyer une information pertinente à une personne intéressée. »
Estelle de Pins demande aux professionnels de s’ouvrir aux technologies du marché et de les accaparer. « Le fichier Excel avec toutes les données, les adresses mails, de fax, c’est fini !!! Il faut passer au CRM, c’est un outil important, car il enregistre tous les échanges. L’outil permet d’intégrer l’historicité de la relation client. Mais pour passer au CRM, il faut une base de données renseignée et fiable. »
Faut-il un seuil critique de taille de fichier pour passer au CRM ? « Oui, il faut un minimum de 1 000 contacts dans sa base de données. L’usage des CRM ou des logiciels spécialisés permettent des gains de temps. »
Pour elle, ce préalable n’est pas anecdotique, il est fondamental. « Le cercle vertueux de l’œnotourisme, c’est la solidité de sa base de données ! Ceux qui développent leurs châteaux débutent par un atelier. Créent de l’événementiel grand public, comme des chasses aux œufs, des chasses aux trésors ou découvertes par exemple. Déclinent des prestations événementielles aux entreprises. Parfois, diversifie via de l’hébergement ou de la restauration. »
Est-ce que cela est un doux rêve ou une réalité tangible pour diversifier son offre et gagner en valeur via la marge de la vente directe ? « Je rentre dans des domaines qui débutent avec zéro visiteurs. Qui au bout d’un an ont construit une base de 2 500 données. L’historicité de la relation, en s’appuyant sur les outils, permet de mieux qualifier les offres faites aux clients. »

E.D.

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