La viticulture bordelaise confrontée à une crise multifactorielle

Jean-Marie Garde en appelle à l’État et aux collectivités locales pour sortir de la crise.

« Si aucune mesure d’urgence n’est prise, la crise ne fera que s’aggraver ! » Jean-Marie Garde, président de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux a pesé chaque mot de son intervention lors de son discours de clôture à l’assemblée générale de la FGVB. Cette crise, il observe que « nous la vivons depuis plusieurs mois, et nous subissons des difficultés inédites et marquées. »

Crise bordelaise : des origines multiples

Les origines de la crise que connaît le vignoble sont multifactorielles, ce qui rend la problématique plus complexe.
Marché national. Tout d’abord, on observe une déconsommation structurelle de vin en France, lequel représente 55 % de la commercialisation bordelaise. Or cette tendance lourde concerne plus particulièrement les vins rouges, et ils représentent 80 % de notre production du vignoble.
Cette tendance concerne toutes les générations. En 3 ans (de 2019 à 2022), selon les données des enseignes de la grande distribution, les ventes de vins blancs ont augmenté de 3 % ; le vin rosé a connu une décroissance de 6 %. Et les ventes de vins rouges se sont effondrées de 15 %.
Les vins, via la GMS (hors hard-discount), ont connu une baisse de consommation de 9 %.

Export. Les ventes à l’export ont été secouées par plusieurs événements : taxe Trump aux USA, repli du marché chinois (-45 % en cinq ans), et Brexit à l’échelle européenne. Les ventes à l’export ont baissé de 7 % sur un an, alors qu’elles ont été relativement stables en Europe (-2 %).

Aléas climatiques. À chaque aléa climatique qui touche la production, Bordeaux perd des parts de marché et ne parvient pas à les récupérer. Ce fut le cas lors des millésimes 2013, 2017 et 2021. Et les terroirs qui échappent au gel ou à la grêle subissent les désagréments d’image même s’ils ont des produits de qualité.

Stock. Cette accumulation conjoncturelle nuit aux stocks. Bordeaux possédait dans ses chais 24 mois de récolte avant les vendanges 2022. Alors que les stocks n’excédaient jamais 18 mois avant 2018. Cette situation pénalise les vignerons. La « sur-offre » maintient le prix du tonneau bas, et limite les recettes des exploitations.

Inflation. Dans le même temps, les charges d’exploitation augmentent, avec une inflation qui a fait exploser les prix de nombreux produits nécessaires à la vigne, au chai, et à la logistique commerciale.

Adapter les mesures aux différents cas de figure

Les difficultés, si elles sont ressenties par l’ensemble du vignoble, impactent plus directement certaines catégories d’exploitants :

  • Les viticulteurs en difficulté qui souhaitent arrêter leur activité et ne trouvent pas de repreneur ;
  • Les propriétaires bailleurs non exploitants (souvent en retraite), et qui se retrouvent sans fermiers ;
  • Les viticulteurs souhaitant réduire leur production, et qui envisagent de se diversifier

Plusieurs pistes de travail ont été étudiées depuis :

  • L’arrachage primé via des fonds européens (refusé par le ministre à ce jour ; et d’autres pays n’y sont pas favorables) ;
  • L’arrachage pour diversification (via les fonds Feader), dont la portée est limitée ;
  • Une restructuration différée ;
  • Une aide au boisement dans une démarche de compensation carbone ou environnementale.

Finaliser l’ensemble de ces mesures demande du temps. Temps dont ne disposent plus nombre de viticulteurs en difficulté.
Aides d’urgence. Yann Le Goaster, directeur de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux, a rappelé la demande professionnelle aux représentants de l’État présents, de façon à permettre de débloquer la situation : « Il y a urgence à mettre en œuvre des mesures dès 2023, pour les entreprises structurellement déficitaires, mais aussi pour les vignerons qui souhaitent cesser leur activité ».
Jean-Marie Garde a abondé dans ce sens : « On voit mal des retraités remonter sur leurs tracteurs quand les baux s’arrêtent. Il y a urgence. » Cependant, il a modéré les attentes qui peuvent nourrir de faux espoirs : « J’ai entendu plusieurs fois la somme de 10 000 € à l’hectare d’aide à l’arrachage primé. À ce stade, je pense que c’est une erreur d’avancer des chiffres aussi élevés ».

Cellule de crise. Jean-Marie Garde a salué la mise en place d’une cellule de crise autour de la préfète (laquelle s’est réunie pour la première fois le 16 décembre). « Les institutions (FGVB, CIVB, Chambre d’agriculture de la Gironde) n’avaient pas été conviées à la rencontre avec la préfète le 6 décembre. Elles le sont à travers la cellule de crise, dans laquelle nous allons avoir un rôle actif. »
Le député Pascal Lavergne voit une opportunité dans la cellule de crise : « Cette cellule nous montre que l’État prend le sujet à bras-le-corps et qu’il plonge le nez dans cette crise. L’intérêt de cette cellule est que les services fiscaux seront autour de la table et qu’ils feront remonter les informations à Bercy. Il faut aller très vite pour obtenir des décisions concrètes. » Pour le député, faire remonter les réalités locales est indispensable : « La viticulture a des visages différents sur le plan national. Et cela la rend parfois peu lisible chez les élus. Il faut cependant une pression coordonnée, et il n’est pas évident de mobiliser les collègues parlementaires des régions qui vont bien. »

Prêt garanti par l’État. Sur le PGE, la Fédération souligne que des demandes nombreuses ont été formulées auprès du ministère de l’Économie quant à une extension du remboursement sur 10 ans.
Nathalie Delattre, sénatrice, a estimé que le ministre de l’Agriculture prend le pouls de la viticulture avec attention et que cette cellule de crise est une courroie de transmission : « Le ministre n’est pas dans le déni des difficultés. Mais si je m’attache à la seule problématique d’allongement du temps de remboursement du PGE, c’est que l’ensemble des filières aujourd’hui formule la même demande. Et, cela se négocie à Bercy. Or, nous sommes face à une problématique constitutionnelle, une prolongation ne peut être accordée à une seule filière. Rappelons que c’est un prêt garanti par l’État, donc peu risqué pour les banques. Mais sur ce PGE, il y a urgence à lever les inscriptions à la Banque de France pour éviter la double peine. »

Le poids de la viticulture. La Fédération des Grands Vins de Bordeaux et l’ensemble des acteurs de la filière travaillent à des leviers en 2023-2024 pour « rétablir l’équilibre entre offre et demande », et l’arrachage s’y inscrit pleinement.
Cependant, Bordeaux fait face à une situation d’urgence. Jean-Marie Garde en appelle donc aux pouvoirs publics : « Notre filière viticole est un élément clé de l’économie régionale. Elle contribue à plus d’1,2 milliard d’euros de chiffre d’affaires de la France à l’exportation. Et la seule TVA sur les ventes en France représente plusieurs centaines de millions d’euros par an. Elle doit être soutenue et nous ne pourrons trouver une issue pour réduire l’offre qu’avec le concours de l’État et des collectivités territoriales. Si aucune mesure n’est prise rapidement, ciblant ceux qui veulent cesser leur activité, la crise ne pourra que s’aggraver ».

E.D.

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