David Amblevert, président de la Fédération française de la pépinière viticole, a rencontré fin novembre au Sénat Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture.
Il lui a fait part de l’inquiétude de la profession qui fait face à un « tsunami » de contraintes administratives et de surinterprétations des textes, qui mettent en péril la survie des plants.
Après la mobilisation du congrès national en octobre, la filière de la pépinière viticole reste mobilisée.
David Amblevert est pépiniériste viticole à Sainte-Florence et président de la Fédération française de la pépinière viticole (FFPV). L’homme du bord de la Dordogne est un amoureux de son métier. Mais aussi un défenseur ardent de sa profession.
Lors du congrès national de la FFPV qui s’est tenu à Colmar fin octobre, David Amblevert avait fait valoir toute son inquiétude d’une surinterprétation des directives européennes par l’administration française.
- David Amblevert, vous avez rencontré Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation au Sénat, mercredi 17 novembre. Pouvez-vous nous en dire un mot ?
Nous avons pu le sensibiliser aux contraintes administratives qui pointent à l’horizon, et qui sont des surinterprétations par l’administration française des directives européennes. Il a été très à l’écoute, c’est clair. Nous lui avons rappelé que la pépinière viticole française occupe une place de leader mondial. J’étais accompagné de Pierre Millet, conseiller technique de la FFPV. Mais nous devons cette entrevue à Nathalie Delattre, vice-présidente du Sénat, qui nous a permis de rencontrer le ministre à l’issue des questions du Sénat au gouvernement. C’était un moment fort. De façon symbolique, nous lui avons remis un pied de vigne de la marque Vitipep’s, qui montre l’excellence de la pépinière viticole française. Et je lui ai remis le plan de compétitivité Cap 2030 qui répond aux défis viticoles d’adaptation de l’offre variétale dans un contexte d’évolution climatique et de diminution des intrants.
- Quelques jours après cette rencontre, qu’en retirez-vous ?
Dès le lendemain de ce rendez-vous, nous avons dialogué avec le cabinet du ministre. Déjà la veille, j’avais pu m’entretenir avec la direction générale de l’Agriculture et de l’Alimentation (DGAL) lors du séminaire national du Plan national dépérissement du vignoble (PNDV). Je lui ai rappelé ce que je lui avais déjà dit au congrès de la FFPV (du 18 au 20 octobre en Alsace), qu’il ne peut y avoir une viticulture forte si la pépinière viticole est faible. Et que l’administration ne doit pas avoir pour finalité que de nous affaiblir. Ces propos, je les ai aussi tenus au ministre.
- Pouvez-vous dans le détail nous donner des éléments sur les griefs que vous avez à l’égard de l’administration, et en quoi des décisions à venir pourraient affaiblir votre filière ?
Notre filière subit un tsunami de réformes réglementaires annoncées par les pouvoirs publics. Quatre réformes amenées en parallèle et de façon concomitante, c’est trop. Alors qu’il n’y a aucune situation sanitaire alarmante au vignoble. Pas plus qu’il y a deux ou trois ans. Par rapport à l’arrêté flavescence dorée, nous avons notifié au ministre un recours amiable en octobre.
- Techniquement, et pour la pérennité de la plante, qu’est-ce que cela signifie ?
Il nous est demandé de faire tremper un plant en pot dans un traitement à l’eau chaude. Cette technique est développée « pour l’assainir » s’il était porteur de phytoplasme telle la flavescence dorée. On sait depuis dix ans, et la démarche est convenue à l’échelle internationale, que si vous immergez un plant 45 minutes dans un bain à 50°, cela guérit le plant. On sait que le point de mortalité de la vigne, c’est entre 53 et 54°. FranceAgriMer souhaite modifier les modalités du plant, et n’admet pas un traitement en dessous de 48°, mais un début de traitement à 52°. Sauf qu’à52°, nous sommes à 1° du seuil de mortalité du pied de vigne. Les Espagnols, les Italiens, les Allemands ne se posent pas ce genre de questions, je peux vous le garantir ! Et là, lors de notre congrès, nous nous sommes levés pour dire Non ! Nous avons obtenu du directeur des interventions à FranceAgriMer un moratoire d’un an. À nous de bâtir un argumentaire scientifique pour prouver l’incohérence de chauffer trop haut. Ce congrès était extrêmement technique, j’en conviens.
- Vous parliez de l’arrêté flavescence dorée. En quoi est-ce un frein à votre activité ?
Cet arrêté, nous le dénonçons, nous demandons son retrait et qu’il soit retravaillé. Prenez un viticulteur. Il vit dans une commune non touchée par la flavescence dorée. Les délimitations sont à la commune près. Or, c’est de la responsabilité du viticulteur de communiquer à son pépiniériste la situation de sa commune. Il commande ses pieds à l’automne, car c’est à cette saison que se prennent les commandes des viticulteurs. Ensuite est publié fin mai en Gironde l’arrêté régional qui donne la clarification des zones. Nous sommes la région de France qui plante le plus tard. Si sa commune change de catégorie, il faut traiter les plants en pot à l’eau chaude. Sauf que passé le 30 avril, les chances de survie du plant sont moindres, et on a beaucoup plus de mortalité. Il y a donc des incohérences techniques, des décalages de calendriers entre l’arrêté national et les arrêtés régionaux.
- C’est face à ces multiples contraintes administratives que vous êtes monté au créneau lors de votre congrès national ?
Bien sûr. Nous nous sommes engagés, la filière pépinière viticole, dans une démarche de qualité avec Vitipep’s, ce qui fait que nous sommes la première pépinière viticole mondiale. C’est pour cette raison que lors de notre congrès, nous nous sommes levés, tous, avec un tee-shirt noir sur lequel était inscrit : « Stop à la surenchère réglementaire française ». Nous avons fait bloc pour montrer que l’administration n’a pas le droit de faire couler une filière d’excellence particulièrement dynamique.
- Quels impacts ont ces mesures réglementaires sur le moral des troupes ?
Ces mesures découragent. Il faut savoir qu’il y a 50 pépiniéristes viticoles qui ont dit : « On est à quelques années de la retraite. On cesse notre activité ! », soit 9 % de nos adhérents. Or, ce sont les pouvoirs publics qui, par les mesures réglementaires et administratives, favorisent les cessations d’activité.
Alors que nous sommes des leaders, l’administration française devrait être notre soutien, notre ambassadrice. Notre filière exporte aux États-Unis, en Angleterre et en Russie, un gros marché.
- En quoi la pépinière viticole est un allié pour l’adaptation de la viticulture ?
Nous avons bâti un plan de compétitivité que j’ai remis au ministre. Les défis de demain pour la viticulture sont l’adaptation au changement climatique et la réduction des intrants. La viticulture évolue dans sa demande aux pépiniéristes. Elle a de nouvelles attentes sur les porte-greffes, sur l’encépagement. Elle veut avoir recours aux variétés résistantes, aux variétés autochtones, aux variétés patrimoniales. Nous avons la chance de posséder 180 conservatoires du vignoble en France, et cela, la viticulture l’ignore souvent. Face à toute cette offre, à nous de tester, d’évaluer, de démultiplier.
- Vous êtes donc un coéquipier de premier rang ?
Nous ne sommes pas des fournisseurs, nous sommes des partenaires, comme le dit souvent Bernard Farges. Et je note la différence, car ce n’était pas le cas autrefois. Jamais la pépinière viticole n’a été autant au cœur des dispositifs et des décisions de la viticulture. Nous sommes aux racines du vin !
- Vous avez une capacité incroyable à motiver les foules. C’est un moteur ?
(Il rit) J’adore ça, rassembler les gars. Vitipep’s par exemple : il y a eu une incroyable adhésion à ce projet. 80 % des plants produits aujourd’hui portent la marque Vitipep’s. Un projet que nous avons bâti avec le soutien de Marie-Catherine Dufour, alors directrice de l’IFV à Bordeaux (et aujourd’hui directrice technique du CIVB). Un homme sans projet est un homme perdu. Mais un projet, ça dynamise un homme, ça mobilise une équipe. Et la pépinière viticole française avance aujourd’hui en équipe !
Emmanuel Danielou