Lors de l’assemblée générale de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux, le lancement de réflexions stratégiques à l’échelle nationale et locale a été présenté, avec la volonté d’aboutir à un plan d’actions dans les prochains mois. Les professionnels ont rappelé leur attachement aux AOC dans un marché chahuté, et la nécessité de conquérir de nouveaux marchés.
La dernière assemblée générale de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux s’est tenue le 11 décembre dernier. Il en ressort une filière viticole, tant bordelaise que nationale, en pleine réflexion. Partout en France, les bassins producteurs de vins rouges sont en difficulté. Les raisons de ces baisses de commercialisation sont multiples : déconsommation régulière des vins (et surtout rouge) sur la dernière décennie, changement générationnel dans la consommation de vin. L’inflation sur les produits alimentaires de + 20 % en 24 mois (Source : Insee octobre 2023) a eu pour effet d’éloigner le vin des paniers des consommateurs, qui se sont recentrés sur les produits de première nécessité.
Seuls les Crémants, celui de Bordeaux en tête, tirent leur épingle du jeu avec une offre rapport qualité prix de très belle facture. Sur ce segment, Ann-Cécile Delavallade, du service Economie et études du CIVB, est venue expliquer la bonne santé de cette appellation bordelaise qui a connu une hausse de ses ventes de 10 % sur l’année passée. Si le Crémant est une joyeuse exception, les principaux indicateurs sont en berne : sorties de chai : – 5 % ; sortie vrac : – 5 % ; vente en GMS françaises : – 4 % ; exportations : – 9 %.
A l’export, le ralentissement de la conjoncture mondiale freine les importations dans les principaux marchés. Les vins de Bordeaux voient leurs exportations reculer notamment en Chine, aux USA et au Japon. Le volume exporté est de 1,60 million d’hectolitres.
Autre segment qui est aujourd’hui la marque de fabrique de Bordeaux : le bio. Les arbitrages des consommateurs face à un pouvoir d’achat plus restreint ont impacté plus fortement le rayon bio en grande distribution (toutes catégories de produits confondus). « La demande manque, constate Ann-Cécile Delavallade. La chute en bio est de 20 % pour les vins de Bordeaux en grande distribution, quand l’ensemble des vins bio recule de 6 %. »
Face à cette situation, le service économie du CIVB rappelle : « nous réalisons aussi un travail d’analyse et de veille sur les habitudes et les préférences des consommateurs, sur les différents segments de clientèle, et en particulier des jeunes, qui sont nos consommateurs de demain, sur les tendances de marché avec le sans et moins d’alcool ».
Les temps de réflexion nationaux et locaux
À l’échelle nationale, les différentes régions viticoles françaises d’AOC, au sein de la CNAOC, ont réfléchi à une stratégie d’action, notamment en direction des pouvoirs publics. Avec trois objectifs manifestes : faire entendre la voix des AOC ; gagner en visibilité ; renforcer le collectif des AOC.
Il en ressort quatre axes de travail : protéger et faire évoluer les AOC ; participer à la régulation du marché et des potentiels de production ; protéger le vignoble et la santé des consommateurs par le soutien aux démarches environnementales et enfin, assurer une défense affirmée du métier de vigneron. L’ensemble de ce plan stratégique, en cours de finalisation, sera présenté dans sa vision détaillée lors du prochain congrès de la CNAOC, fin avril 2024 à Beaune.
À l’échelle locale, l’ensemble des élus de la Fédération des Grands Vins de Bordeaux travaillent à une réflexion stratégique sur l’avenir de la filière bordelaise, dans un horizon proche. Partant du postulat que certaines projections prévoient une baisse de la consommation de 6 % par an d’ici à 2030. Ils devraient communiquer leurs analyses dans les semaines à venir aux ODG pour que ceux-ci contribuent au plan d’action. Mais une ambition est déjà exprimée : « Pérenniser une viticulture créatrice de valeur, répondant aux attentes sociétales en capitalisant sur nos spécificités de vins d’AOC ».
« Défendre la viticulture en AOC et reconquérir des marchés »
Jean-Marie Garde, président de la FGVB, précise que « cela situe bien où nous en sommes : défendre la viticulture d’AOC. Nous en parlons souvent. Il faut se projeter dans l’avenir à reconquérir des marchés. Ceci dans un contexte qui ne nous est pas favorable ».
Lorsque la parole a circulé, le député Renaissance Pascal Lavergne a insisté sur les besoins de pédagogie en direction des autres parlementaires et responsables européens : « Expliquez bien vos métiers. Quand je lis les directives qui sont proposées en matière d’environnement, elles engendrent des coûts et nécessitent un accompagnement ». Et le député de s’interroger sur le cadre de réflexion : « Ce système des AOC a été protecteur. Mais est-il adapté aux évolutions rapides du marché ? Interrogeons-nous sur la façon d’exister des AOC ».
Réponse incisive de Jean-Marie Garde : « Les AOC sont issues d’une tradition. Mais c’est une tradition en marche ! Ce n’est pas un concept figé. Sachez que ce modèle des AOC nous est envié ».
Bernard Farges, vice-président du CIVB, président d’EFOW et du CNIV, replaçait le débat dans le contexte. « Souvenons-nous. Voici un an, il y avait une manifestation à Bordeaux car nous n’avions pas de solution pour réduire l’offre. Aujourd’hui, une grande partie de la viticulture est en crise. » Cette situation de tensions s’explique fortement par des réalités économiques qui, année après année, montrent un modèle malmené. « À part les grands crus, toutes les autres appellations de Gironde ont connu des baisses de volumes commercialisés de -25 à – 35 % entre 2013 à 2023. On observe donc une baisse mécanique s’opérer par génération, et les projections nous laissent penser qu’en 2025, nous serons à -25 % des volumes commercialisés d’aujourd’hui. Devant nous, il y a donc des perspectives inquiétantes pour séduire des consommateurs. Mais si nous n’allons pas vers eux, les pertes vont se poursuivre. »
La surcapacité de production engendre une offre importante sur le marché, laquelle se traduit par des prix bas qui sont difficilement rémunérateurs pour le vigneron : « En grande distribution, le prix moyen d’une bouteille de vin est de 3,60 €. Et il n’existe pas de loi qui permette de fixer un prix minimum pour le producteur ».
Jean-Samuel Eynard, président de la FNSEA33 faisait part d’observations plus actuelles : « Ce qui m’interpelle, ce sont les récoltes 2024 et nos capacités de commercialisation en AOC. Est-ce que l’on ne peut pas inviter les vignerons à envisager d’autres productions, comme de l’IGP pour la prochaine récolte ? » Jean-Marie Garde réagissait immédiatement : « On ne va pas inciter à produire autre chose que des AOC s’il n’y a pas de marché en face ! ».
David Labat, président de l’Entre-Deux-Mers, s’invitait dans le débat : « Nous avons une organisation qui depuis 40 ans fait loi à Bordeaux : on ne travaille que sur l’offre. Il nous faut aussi travailler sur la demande. Nous avons besoin de forces, de relais, de vignerons pour aborder de nouveaux marchés ».
Jean Marie Garde concluait l’assemblée générale en formulant le vœu que le plan d’action en cours de construction contribue pleinement à la sortie de crise.