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Couverts végétaux : être prêt à semer après les vendanges

Le vignoble bordelais développe le recours aux couverts végétaux pour enrichir les sols et les protéger. Les semenciers travaillent sur des mélanges adaptés entre les rangs et sous le rang. Les semis se réalisent au sortir des vendanges, c’est le moment de faire ses provisions.

Union Girondine

Le monde des semences de couverts végétaux est en train de vivre une importante révolution. Dans ce secteur, comme dans de nombreux autres, la concentration des acteurs est engagée.

Les grands groupes prennent des parts de marché en intégrant les entreprises familiales. Le 1er septembre 2020, Euralis avait intégré Caussade semences, et créait Lidéa (www.lidea-seeds.fr). La coopérative du Sud-Ouest se faisait ainsi semencier pour les céréales à paille, le colza, les oléagineux (maïs et tournesol), les légumes secs. Mais aussi les « plantes de services », à savoir des plantes à « vocation agronomique, apicole et cynégétique, énergétique et fourragère. Utilisables en agriculture biologique. » C’est dans cette catégorie que Lidéa range aussi les couverts végétaux pour la vigne et l’enher- bement entre les rangs.

Autre acteur important des couverts végétaux implanté en Nouvelle-Aquitaine : Jouffray Drillaud. Lequel a intégré l’important groupe coopératif Terrena (connu pour les marques Père Dodu, La Nouvelle Agriculture ou Ackerman - qui compte aussi plusieurs domaines viticoles le long de la Loire). Jouffray-Drillaud, est devenu Cérience au 1er juillet 2021.

Herminie SSzitas, ingénieur agronome chez Cérience, sillonne le vignoble girondin. Elle constate que sur ce vignoble, deux attitudes étaient notables : « Là où le vin se vendait bien, il y a eu un gros travail sur la fertilisation des sols. Là où le vin se vendait moins bien, souvent, on assurait le minimum. Mais avec le temps, ces lacunes d’enrichissement ont eu un impact sur les rendements. »

Dans le même temps, la viticulture limitait ses rendements. Sauf que peu à peu, la prise de conscience de la fertilisation des sols est revenue avec force. « Cette fertilisation avait été mise de côté pour des raisons de moyens, poursuit Herminie Szitas, mais aussi du fait des prix fluctuants des vins. Peu à peu, les consommateurs ont insisté sur des vins écoresponsables et agroécologiques. Les problèmes de rendements se sont manifestés à la même époque. Il fallait donc refertiliser le vignoble de façon écologique. »

Pour l’ingénieure, « parler d’engrais verts est trop réducteur. Cela va au-delà de la fertilisation de la vigne. Et la viticulture apporte beaucoup à l’environnement agroécologique en agissant avec les couverts végétaux. C’est une démarche globale. »

« Le viticulteur a une action sur la fertilité de son sol, il participe à l’entretien du paysage, il participe à la biodiversité, et il lutte contre l’érosion des sols. »

« Au départ, il y a 10 ans, la première recherche était la fertilité des sols. Le mouvement a été lancé par les viticulteurs bio qui recherchaient des plantes partenaires plutôt qu’une destruction des plantes adventices. Ce qui se passe chez les bios et chez les conventionnels n’est pas cloisonné. Tout cela s’est développé, chacun selon son mode cultural, et une démarche globale a progressé. Ce sont des sujets très travaillés depuis une dizaine d’années. »

Mais elle voit un virage rapide qui se développe très fortement en Gironde. « Depuis cinq ans, des viticulteurs portent ces sujets de fertilisation des sols, de couverts végétaux à bras-le-corps, et ils le travaillent. Ces viticulteurs sont capables de mener de front plusieurs exigences, de réfléchir à l’échelle de la parcelle. L’approche est au- jourd’hui à une synergie sol, plante et qualité du vin. Et l’on voit naître des besoins spécifiques en fonction du parcellaire. » Sur une parcelle, il faut réfléchir à un problème d’eau stagnante. Sur une autre, l’enjeu par le couvert végétal est de lutter contre l’éro- sion du sol.

La montée en puissance des couverts végétaux engendre aussi une évolution des travaux entre les rangs. « Au départ, la tendance était de broyer le couvert en mars ou avril pour créer de la fertilisation et de l’apport en azote, phosphate et magnésium. Aujourd’hui, on évoluerait vers de nouvelles pratiques, avec du roulage pour coucher les couverts végétaux : cela provoque un effet mulch qui crée une barrière thermique et évite l’évapotranspiration et

limite le stress hydrique. Et limiter le rayonnement solaire sur le sol protège aussi la biodiversité et limite l’arrivée des adventices. »

Pour Herminie Szitas, la révolution silencieuse qui se fait à la vigne est impressionnante. « Dans les années 2000, les vins avaient une image dégradée », et avec sa position de leader, « la notoriété du vignoble bordelais en avait souffert. Mais aujourd’hui, la prise de conscience est forte en France, et plus encore dans le Bordelais. »

La spécialiste des semences en couverts végétaux chez Cérience constate que si la concentration des acteurs dans le secteur est engagée, « c’est parce que le secteur était resté franco-français. Nous sommes des pionniers en viticulture en Europe. Si l’Allemagne est dans le peloton de tête, la France n’est pas en retard, loin s’en faut. En se regroupant, nous sommes capables d’être visible à l’étranger et de communiquer sur ce que nous avons mis en place. »

Au sein de son entreprise, elle souligne que « la démarche n’était pas de répondre aux attentes du marché, mais de les anticiper par l’innovation et une attitude écoresponsable. Si notre action et notre production sont visibles aujourd’hui au ignoble, notre recherche a débuté il y a plus de 20 ans. »

Elle voit dans les changements de pratiques agronomiques à la vigne une cohérence globale : « Les viticulteurs ont fait

évoluer leur travail. Aujourd’hui, ils veulent vendre un vin qui correspond à l’évolution de ces pratiques agronomiques. Sur le terrain, cette mutation se fait avec l’appui des techniciens de la Chambre d’agriculture de Gironde. Ils aident les viticulteurs dans leur volonté de faire des choix. C’est un travail au long cours, car il s’accompagne aussi d’une mutation technique. »

Sur les couverts végétaux, elle explique la particularité des couverts temporaires, qui ont une durée de vie sur une saison. Qui vont apporter de la biomasse aux sols. Il existe aussi une gamme de couverts végétaux dits « permanents ». Ils ont une durée de vie de quatre à six ans, ils sont rasants, poussant sur le sol, et ont pour fonc- tion de limiter les adventices et de limiter le travail du sol. C’est une particularité de la couverture des sols. »

Herminie Szitas ne cache pas son admiration pour la filière : « Depuis 20 ans, on assiste vraiment à une remise en question du système de production. L’agriculture n’est pas une machine à laquelle on fait vivre un virage subi. Cela demande du temps. » Selon elle, hors de question d’opposer les générations : « Vous avez des anciens qui se remettent en question, qui sont innovants. Et des jeunes qui restent dans le schéma scolaire de ce qu’on leur a appris. Mais au final, ce que l’on voit, c’est cette cohérence importante : être bien dans son agriculture, bien dans sa façon de faire. »

Cette propension à évoluer est large :

« C’est le cas chez les semenciers, chez les techniciens de la distribution, chez les techniciens des chambres. Tout le monde travaille avec les vignerons, avec des domaines de toutes dimensions, avec les viticulteurs des caves coopératives. »

L’ingénieure admet s’enthousiasmer quand elle observe la viticulture avec la- quelle elle est en relation. « Il y a un réseau d’entreprises pionnières à la vigne. Je rêvais il y a une vingtaine d’années, quand j’étais étudiante, de vivre un moment de synergie entre les entreprises, les techniciens, les viticulteurs. C’est une grande satisfaction et une grande fierté de participer à cela. »

Jean-Charles Peyrondet, distributeur de l’entreprise Lesplene (réseau de négoce agricole Impaact) travaille à de nouveaux couverts. « Nous avons fait nombre d’essais pour réaliser quatre couverts, et nous y sommes parvenus. Nous travaillons à la réalisation de couverts sous le rang qui se sèment de façon mécanique. Je pense que nous allons pouvoir les proposer très bien- tôt. Notre travail est d’aller chercher des innovations dans les grandes cultures pour les adapter à la vigne. »

Quant à la période de semis de couverts végétaux, l’idéal est de les engager au sortir des vendanges. « Nous estimons, assure Jean-Charles Peyrondet qu’il faut que tout soit semé avant le 5 novembre. »

C’est donc le moment de se fournir en semences de couverts végétaux, en prévision d’une action dès l’automne.

> Emmanuel Danielou