Comment Terra Hominis a sauvé le Château Saint-Grégoire
C’est un financement participatif qui a donné une seconde vie à l’exploitation du Médoc, en 2020. Près de trois hectares du vignoble d’Ingrid Gancel et Grégory Goirand ont été rachetés en copropriété via Terra Hominis. Récit d’un sauvetage inespéré.

2020 aura bien été une année à nulle autre pareille pour Ingrid Gancel et Grégory Goi- rand : en quelques mois, leur exploitation viticole, dans le Médoc, a frôlé la faillite avant d’être sauvée in extremis par un financement participatif. Quelque 130 associés de Terra Hominis se sont mobilisés en urgence pour racheter 3,70 hectares au couple de viticulteurs. Et lui apporter ainsi la trésorerie nécessaire pour se remettre à flot. Un sauvetage quasiment inespéré, qui doit autant sa réussite à l’esprit battant de la famille Gancel-Goirand qu’à l’engagement de Terra Hominis, sans compter la formidable chaîne de solidarité venue les soutenir.
« Tout est allé très vite », se rappelle Grégory Goirand. Fin 2019, le couple réfléchit encore à un agrandissement de ses installations. « En septembre 2019, la banque était prête à nous aider dans nos projets. En février 2020, on n’avait même plus accès à nos comptes pour manger », résume le viticulteur. À la veille du premier confinement, leur agence bancaire opère un changement radical de position, en leur sommant de régler les emprunts qui courent.
Faire face aux coups durs
C’est le début d’une longue série de démêlés bancaires. Il faut se résoudre à hypothéquer la maison. « Du jour au lendemain, on s’est dit qu’on allait se retrouver à la rue », poursuit Grégory Goirand. La situation est tellement intenable qu’Ingrid cache parfois à son conjoint les derniers revers qui s’accumulent : nouvelles lettres, opérations bloquées, et pour finir, la vente du vignoble, présentée comme la seule issue.
Vendre ? Impossible pour Grégory Goirand, quatrième génération de la famille à avoir la vigne dans le sang. Impossible également pour Ingrid Gancel, qui devrait dans ce cas licencier sa fille Éva. Et surtout, les prix proposés sont moitié moins cher que la moyenne (50 000 euros l’hectare en appellation Médoc en 2019, selon les chiffres de la DRAAF).
À Prignac-en-Médoc, Ingrid Gancel et Grégory Goirand ont pourtant l’habitude de tenir tête face aux coups durs. Installés ensemble en 1999 avec 1,80 hectare, le couple travaille désormais 21 hectares, dont 60 % en fermage. Ils réalisent en famille plusieurs cuvées du Château Saint-Grégoire (SCEA Hontane) et du Château Rose Victoria. « Ce sont des bosseurs », dit d’eux Ludovic Aventin, à Terra Hominis. Et des viticulteurs attachés à leur exploitation, au point de remuer ciel et terre quand il faut la défendre. Déjà, en 2012, le couple avait quitté la coopérative Uni-Médoc pour créer sa propre CUMA (coopérative d’utilisation de matériel agricole) de vinification, une première dans le Médoc. Une CUMA volontairement restreinte à l’échelle familiale, qui a permis à la SCEA de maîtriser la vinification de ses vins, avec l’appui fidèle de l’œnologue Julien Maillet.
Solidarité spontanée
Quand la banque a tiré son coup de semonce en février 2020, il a fallu redoubler d’énergie et d’obstination pour faire front. Ingrid Gancel ne compte plus les gestes spontanés de solidarité du monde du vin. Du négoce d’abord. « On peut les critiquer mais ils nous ont bien aidés. » Quand il manquait un peu d’argent pour la mise en bouteille et que la banque refusait toute avance en période de confinement, leur courtière, aux Grands Chais de France, n’a pas hésité à signer un bordereau de vente pour débloquer la situation. Il y a eu aussi tous les fournisseurs, qui ont continué à livrer malgré les échéances. L’ami graphiste qui a offert les étiquettes. L’œnologue, Julien Maillet, qui a transformé ses factures en avoir. L’ODG du Médoc, également à l’écoute, qui a étalé les paiements liés à l’habilitation. À tous ceux-là, il faut ajouter le distributeur régulier (l’Entrepôt à Cissac-Médoc), l’autre agence bancaire prête à suivre l’exploitation, et tous les clients qui ont su glisser un mot de soutien au couple. Malgré tout, le Château Saint-Grégoire a dû se résoudre à vendre 17 ares.
C’est un client venu de l’Aveyron qui évoque un jour Terra Hominis. « Vendre sa terre, c’est encore tabou pour un agriculteur, redit Ingrid Gancel. Mais là, il y avait une vraie notion d’entraide ». Société à mission, Terra Hominis est loin des montages à but financier. Elle propose au contraire à des particu- liers d’acheter en copropriété des parts dans des vignobles indépendants, avec l’objectif éthique de les soutenir. La mise d’entrée commence à 1 300 euros la part, pour une rétribution en bouteilles. Mais attention, pré- cise Ludovic Aventin, fondateur de Terra Hominis, les associés doivent d’abord être moti- vés par l’aspect humain, et non par le produit fini, pour couper court à toute spéculation.
« Et là aussi, reprend Grégory Goirand, c’est allé très vite. » En une dizaine de jours, un membre du comité éthique de Terra Hominis rencontre la famille. Une dizaine de jours encore après, c’est Ludovic Aventin qui s’assied derrière le comptoir de la salle de dégustation. Un mois après, avant l’été 2020, la mo-bilisation des associés pour acheter plus de 3 hectares était bouclée.
Le sauvetage du Château Saint-Grégoire reste exceptionnel, tient à signaler Ludovic Aventin. « Nous faisons normalement un travail de préparation plus long. Dans le cas d’Ingrid et Grégory, il y avait urgence, le banquier les avait tout simplement plantés. »
Créée en 2011, Terra Hominis a réalisé vingt-neuf projets de vignoble en copropriété dans seize domaines, principalement en Occitanie. Le montage juridique (une société civile immobilière puis un bail accordé au vigneron) est volontairement simple, pour privilégier l’esprit convivial qui démarque la société, à l’origine fondée entre copains rugbymans. La société n’en est pas moins soutenue par la Safer et le cabinet d’expertise comptable Cerfrance, pour ficeler ses projets de financement participatif.
Après deux domaines en Côtes de Bourg et en Cadillac Côtes-de-Bordeaux, le Châ- teau Saint-Grégoire fait partie des premiers vignobles en copropriété de Terra Hominis dans le Bordelais. Forte de 2 400 associés, la société compte faire mieux, convaincue que l’avenir de l’appellation passera par le renou- veau des petites exploitations. En attendant, le réseau Terra Hominis et ses acheteurs exigeants mais bienveillants ont donné un nouveau souffle au domaine de Prignac-en-Médoc. De 30 000 bouteilles produites à l’année, le château vise désormais les 50 000, avec de nouvelles cuvées vendues à prix préféren- tiel aux associés. « On monte en gamme et on valorise mieux notre vin », se réjouit Ingrid Gancel.
L’exploitation est toujours sous mandat ad hoc, une procédure de conciliation, pour remettre à plat sa situation bancaire. Cela n’empêche pas Ingrid Gancel et Grégory Goirand d’avancer à grand pas dans leurs projets : la construction d’un bâtiment complémentaire, de gîtes et un autre achat en copropriété. Les viticulteurs souhaiteraient acquérir deux hectares voisins, toujours avec Terra Hominis. « Il y a déjà eu une offre d’achat à 21 000 euros l’hectare. Avec Terra Hominis, nous allons essayer de nous posi- tionner autour de 40 000 euros. Si on ne l’emporte pas, ça obligera quand même à monter le prix de vente. »
> Audrey Marret
Des difficultés financières ? Bénéficiez de l’opération Agir Vite
La Chambre d’agriculture de la Gironde a mis en place l’opération Agir Vite, un dis- positif destiné aux exploitants fragilisés.
• Pourquoi ?
Pour anticiper les conséquences de la crise sur son exploitation. Dans le contexte économique actuel, il est plus que nécessaire de prendre les devants pour ne pas subir les événements ou du moins le moins possible.
• C’est quoi ?
1. Un point de situation avec un conseiller de la Chambre d’agriculture
La Chambre d’agriculture propose aux exploitants volontaires de faire un premier point de situation avec un conseiller.
2. Un rendez-vous avec un professionnel du droit
Selon les conclusions de ce diagnostic partagé, un rendez-vous gratuit et confidentiel peut être proposé avec un professionnel du droit. Ce rendez-vous doit permettre d’évaluer l’intérêt de chercher des solutions de règlement des dettes dans le cadre d’une démarche à l’amiable ou d’un mandat ad hoc.
• Comment ?
Cette démarche avec des professionnels rodés à la négociation avec les créanciers dans le cadre du droit est totalement confidentielle. L’exploitant garde la maîtrise de la démarche de recherche d’un accord avec les créanciers choisis.
Le plan d’actions est élaboré à partir d’un état des lieux approfondi de la situation financière de l’exploitation. Il apportera les éléments de confiance dans la conclusion d’un accord avec les créanciers, avec pour objectif de faciliter la poursuite de l’activité.
Tout au long des démarches, les conseillers de la Chambre d’agriculture ont un rôle de facilitateurs auprès des exploitants en lien avec les partenaires (expert-comptable, mandataire...).
• Contact : Pour être mis en rapport avec un conseiller de la Chambre d’agriculture, contactez le pôle entreprises au 05 56 79 64 14 ou service.entreprises@ gironde.chambagri.fr