Comment passer du désherbage, mécanique au chimique au couvert végétal ?
La maîtrise des couverts végétaux en vigne est au cœur des réflexions pour s’adapter au changement climatique, qui amène son lot d’aléas à chaque millésime. Pour faciliter les transitions vers des pratiques de gestion durable des sols, la Chambre d’agriculture de la Gironde réalise des essais sur les couverts végétaux et développe des outils pour accompagner les viticulteurs.

Les adventices, espèces végétales se développant spontanément dans une parcelle cultivée, sont une préoccupation majeure pour les viticulteurs. En effet, les couverts végétaux s’insèrent dans des relations multiples avec la vigne :
- ils peuvent induire une compétition hydro-azotée plus ou moins importante selon la fertilité du sol ;
- ils sont à la source de nombreux services écosystémiques bénéfiques à cette fertilité.
Comment établir un équilibre entre couvert végétal et vigne pour optimiser le partage des ressources et maintenir la fertilité des sols ? Comment amorcer une transition grâce aux outils de diagnostic du sol et de la flore ?
Financé par le CIVB, le projet VERTIGO (2017-2023) acquiert des références pour limiter le travail du sol inter-rangs et sous le rang au profit des couverts végétaux (image ci-dessus) et maximiser les services écosystémiques rendus. La gestion des couverts végétaux semés (engrais verts…) et naturels occupe une place centrale dans ce projet. La question de la transition et de sa faisabilité technique et économique est abordée au quotidien avec les viticulteurs partenaires du projet.
Gérer durablement les sols : enherber pour restaurer leur fertilité
Les pratiques de désherbage, mécanique ou chimique, permettent l’élimination plus ou moins ciblée des adventices dans l’optique de réduire leur concurrence pour les ressources. La crainte de cette concurrence s’applique en particulier sur des sols peu fertiles, à faible réserve utile, et pour les vignobles à forte densité de plantation.
Ces pratiques, utilisées en plein, sont en revanche peu favorables à l’entretien de la fertilité organique, physique et chimique car elles déstructurent et appauvrissent les sols. Avec des teneurs moyennes en matières organiques de 0,5 à 2 %, les sols viticoles sont particulièrement sensibles aux phénomènes de dégradation induits. Sur le long terme, les sols n’assurent plus leurs fonctions de réservoir nutritif pour les plantes et de résilience face aux aléas climatiques. Les répercussions sur la production viticole sont une baisse importante des rendements et/ou des moûts carencés en azote assimilable. En parallèle, les attentes sociétales et les évolutions de la réglementation tendent vers une utilisation raisonnée des intrants, en particulier des herbicides.
Une reconception des modes de gestion des sols s’avère alors indispensable pour assurer la durabilité des systèmes viticoles. En viticulture, les sols occupent une place centrale à travers le concept de terroir, qui confère aux vins une identité organoleptique. Face à ce constat, la couverture du sol par les couverts végétaux est une alternative prometteuse pour répondre aux enjeux de gestion des sols viticoles.
L’enherbement présente de nombreux intérêts comme l’amélioration de la portance, l’augmentation des teneurs en matières organiques et de l’activité biologique des sols, ou encore une meilleure porosité et stabilité structurale. Ces modifications structurales peuvent rendre disponibles des ressources hydriques et minérales pour la vigne.
La gestion de l’enherbement demande un savoir-faire technique et une bonne capacité d’adaptation selon les conditions des millésimes. Les couverts végétaux sont généralement pilotés en modulant la proportion de surface couverte en fonction des sols et des objectifs de production et sont ainsi souvent associés à du travail du sol et/ou du désherbage chimique de manière à limiter au maximum les risques de concurrence. Il convient donc de repenser ses itinéraires techniques pour généraliser les couverts végétaux (naturels, semés, permanents et/ou temporaires) en viticulture et concilier gestion durable des sols avec productivité viticole. L’étape de diagnostic est ainsi indispensable dans la logique de reconception des pratiques au vignoble. À ces fins, la Chambre d’Agriculture de la Gironde travaille à l’élaboration d’outils permettant de caractériser plus facilement les sols, la flore et les itinéraires techniques. L’objectif est de donner aux conseillers et aux viticulteurs de nouvelles clés pour une gestion plus agroécologique des sols viticoles, et ainsi réduire l’utilisation d’intrants chimiques.

Maîtriser les couverts végétaux spontanés
L’enherbement spontané en inter-rangs est une pratique qui s’est largement développée ces dernières années dans le Bordelais, où elle concerne désormais près de 80 % des parcelles. Avec 905 espèces recensées, soit 20 % de la flore nationale, les vignobles abritent une importante diversité floristique qu’il convient de préserver. En viticulture, on retrouve des espèces dont les caractéristiques sont adaptées pour garantir leur survie dans ces systèmes agricoles régulièrement perturbés par l’activité humaine.
Les tontes et travaux mécaniques du sol, lorsqu’ils sont fréquents et intensifs, sélectionnent un couvert concurrentiel. Par exemple, les espèces vivaces, qui se régénèrent par reproduction végétative, sont le reflet d’enherbements anciens liés à des tontes fréquentes et rases (ex : Chiendent rampant). Ces espèces pré- lèvent des ressources conséquentes pour assurer le développement de leurs organes de survie (rhizomes, bulbes, etc.). Les espèces annuelles à cycle court se développent, elles, sur des sols travaillés fréquemment ou soumis à l’application d’herbicides, auxquels elles développent des résistances (ex : Séneçon commun, Erigéron du Canada).
L’adoption de tontes « extensives », à sa- voir moins fréquentes, plus tardives en sai- son et à une hauteur de coupe plus élevée, permet à l’inverse l’expression d’espèces moins gourmandes en ressources. Elles ont en effet la possibilité de réaliser leur cycle en entier, ce qui espace les périodes de prélèvements de ressources. L’espacement des tontes optimise aussi l’apport de biomasse végétale, permettant une séquestration du carbone dans les sols.
Pour piloter la gestion des couverts spontanés, il est essentiel d’établir un diagnostic floristique. L’outil GARANCE a été développé en ce sens : c’est un Guide d’Aide à la Reconnaissance des Adventices de Nouvelle-Aquitaine et Conseils pour la gestion de l’Enherbement. Il s’agit dans un premier temps d’identifier les espèces qui composent le couvert afin de comprendre son impact vis-à-vis de la vigne. GARANCE facilite la détermination floristique à partir de critères de reconnaissance simplifiés. La suite du diagnostic consiste à évaluer les atouts et contraintes des couverts vis- à-vis des performances viticoles et de la conduite de la vigne. Plusieurs critères entrent en jeu : leur pouvoir concurrentiel et la gêne occasionnée par leur hauteur, mais aussi leur effet décompactant, leurs apports organiques et azotés ou encore leur impact positif sur la biodiversité.
Semer des couverts végétaux: semis permanents et/ou engrais verts
Si les espèces naturelles ne peuvent être maîtrisées, un enherbement semé permanent est aussi possible. Toutefois, le choix des espèces est crucial afin d’éviter toute concurrence avec la vigne dans certains contextes pédoclimatiques. L’enherbement semé permanent a été très répandu sur les inter-rangs de vigne dans les années 1990-2000. Mises en œuvre avec des graminées pérennes, faciles à implanter et couvrantes, ces dernières se sont révélées bien souvent trop compétitives vis-à-vis de la vigne. Actuellement, des expérimentations sont menées avec des espèces potentiellement peu concurrentielles pour l’azote, notamment des lé- gumineuses pérennes, telles que du trèfle blanc nain, du lotier, du trèfle souterrain dans les inter-rangs mais également sous les rangs.
Enfin, les couverts semés temporaires, ou engrais verts, sont des plantes de services sélectionnées pour entretenir la fertilité des sols en réponse à des problématiques agronomiques, objectifs de production et contraintes pédoclimatiques. Cette pratique consiste à semer en monoculture ou en mélange des espèces végétales annuelles. Semés à l’automne (avant ou après vendanges), ils sont en- suite roulés au printemps pour être res- titués au sol sous forme de mulch. Les engrais verts sont généralement semés un inter-rang sur deux et combinés avec de l’enherbement sur l’autre inter-rang. La couverture du sol pendant la période hivernale protège le sol des intempéries (érosion), favorise l’activité biologique et améliore la porosité du sol. Après destruction, le mulch permet également de limiter le salissement et de fait les interventions pour garder un inter-rang « propre ». Il tamponne également les aléas climatiques en conservant une certaine humidité accessible à la vigne en période sèche.
Le couvert détruit apporte de la matière organique au sol et permet donc de reconstituer les réserves en humus du sol. La production de biomasse peut représenter entre 1,3 et 4 tonnes de matière sèche par hectare et par an (mesures du projet VERTIGO). Les restitutions en éléments minéraux, estimés grâce à la méthode MERCI (https://methode-merci.fr), montrent des apports moyens de l’ordre de 16 kg/ha de N, 6 kg/ha de P et 40 kg/ha de K avec cependant une forte variabilité interannuelle et entre parcelles du réseau.
Et sous le rang ? Des alternatives en cours d’essai
Pour gérer les couvertures végétales sous le cavaillon, le travail mécanique se généralise dans le Bordelais en alternative au désherbage chimique. La stratégie de gestion va dépendre de la nature des sols, des adventices présentes sur la parcelle, de l’environnement climatique et topographique et surtout du matériel disponible et des moyens humains. En revanche, le passage des outils répété en saison s’avère chronophage et sélectionne une flore concurrentielle.
C’est pourquoi des alternatives qui visent à couvrir le sol se développent. On peut citer les paillis à base de couvert organique pour obtenir un effet mulch, mais aussi les feutres de paillage issus de fibres végétales, qui se dégradent sur plusieurs années.
Enfin, il est possible de laisser le couvert spontané se développer sous le rang, et de l’entretenir avec des tondeuses interceps : retrouvez le témoignage de Matthieu Audubert, viticulteur partenaire du projet VERTIGO, sur la chaîne youtube du Vinopôle https://youtu.be/UB3iI6dc9tI.
Reconcevoir son itinéraire de gestion des sols : pour aller plus loin
Pour se projeter dans l’adaptation des pratiques, l’approche participative est de mise. La multiplication des groupes de travail via les dispositifs GIEE, DEPHY, 30 000, CAP BIO, etc. indique l’intérêt des viticulteurs pour s’impliquer dans les transitions agroécologiques. Être acteur dans ce type de collectifs permet des partages d’expériences qui confortent dans la prise de décision, afin de dépasser les prises de risque associées aux changements de pratiques.
Retrouvez l’ensemble des travaux me- nés et des outils d’aide à la décision élaborés par l’équipe Gestion durable des sols viticoles sur le site du Vinopôle Bordeaux Aquitaine (www.vinopole.com) et sa chaîne Youtube associée.
Équipe Gestion durable des sols viticole - CA33