Benjamin Banton : « Le prestataire est passé de pompier à partenaire »
Benjamin Banton est co-gérant de l’entreprise Banton-Lauret, leader girondin de la prestation à la vigne. Il est vice-président départemental des Entreprises du Territoire. En 20 ans, la prestation de service à la vigne a explosé. L’activité s’est diversifiée. Avec un point d’ombre permanent : la difficulté à recruter.

Dans quelques jours se terminent les travaux d’hiver à la vigne. Les derniers chantiers de taille sont en cours. Chez Banton-Lauret, à Vignonnet, en plein mois de février, les locaux ressemblent davantage à une ruche. Réunion au rez-de-chaussée avec l’oeil rivé sur le tableau d’organisation. À l’étage, la réflexion se pose sur le recrutement de personnel, les besoins en mécaniciens, en tractoristes. Au sortir de l’hiver les équipes lorgnent sur les travaux de printemps et les besoins en main-d’œuvre et en compétence qu’ils imposent. On dialogue avec l’antenne du Médoc, et celle plus récente qui rayonne sur Graves et Sauternes.
Benjamin Banton, vous êtes cogérant de la plus importante entreprise de prestation de services auprès des viticulteurs de Gironde. Partout dans le vignoble, on entend parler de manque de main-d’œuvre. Est-ce aussi le cas pour vous ?
L’entreprise Banton & Lauret a été créée en décembre 2009 quand Bernard Banton, mon père, et Philippe Lauret se sont associés. En 2016, nous les enfants, Sophie Lauret et moi même avons repris le flambeau. Banton & Lauret, c’est 240 salariés en CDI. On monte à 700, voire 800 salariés sur les travaux de printemps. Puis nous sommes plus de 1 000 pendant la période des vendanges. Si on lisse cela sur 12 mois, c’est l’équivalent de 490 salariés équivalent temps plein (ETP) à l’année. Il y a 10 ans, on arrivait à embaucher 100 à 150 personnes par jour. Aujourd’hui, nous avons trois personnes à plein temps aux ressources humaines pour faire les salons, les forums, les réunions de l’Anéfa ou de Pôle emploi. 90 % de notre communication est sur l’humain, pour recruter du personnel. Nous ne sommes pas des chasseurs de têtes, mais pas loin.
« La sous-traitance est devenue un vrai métier »
Cela reflète une forte évolution de votre activité ?
Sur la partie recrutement, c’est certain. La sous-traitance est devenue un vrai métier. L’enjeu que nous avons tous, employeur et client, c’est de fidéliser le personnel. Des salariés assidus, c’est de l’expérience, une meilleure qualité de travail et un meilleur rendement. Le turnover coûte cher à tout le monde. On le constate tous, exploitations ou prestataires : trouver du personnel est de plus en plus difficile, nous en sommes conscients, et nous essayons de nous adapter.
Le regard sur la sous-traitance a également évolué ?
Oui, c’est certain. Il arrive encore que l’on nous appelle dans des situations d’urgence. Mais de notre côté, nous avons essayé de faire évoluer notre rôle de pompier à partenaire. Dans une entreprise comme la nôtre, nous aidons nos clients depuis le cep jusqu’à la vente des vins, en passant par la partie culturale et l’accompagnement œnologique.
Vous adapter, cela consiste en quoi ?
Nous soignons les embauches. Nous ré- alisons des questionnaires de satisfaction pour mieux répondre aux attentes des salariés. Nous payons les primes de précarités, les congés payés. L’idée est que les gens qui frappent à notre porte pour travailler sachent qu’il y aura du boulot, et que les salaires sont intéressants.
Vous expliquez vous adapter aux évolutions de la demande, mais avec un tel recours à la main-d’œuvre l’activité demeure très fortement manuelle ?
80 % de l’activité de sous-traitance est manuelle. C’est la taille, le tirage des bois, le carassonnage, le pliage et l’attachage, l’épamprage, l’élevage, l’effeuillage, les vendanges en vert, les vendanges, la complantation et le curetage. L’histoire de notre entreprise depuis sa création est de se dire : « On va répondre aux services de nos clients. » Et de continuer à s’adapter dans la durée.
Comment y parvenez-vous ?
Notre idée maîtresse est de se différencier sans se disperser. Sur la vigne par exemple, nos deux familles possèdent chacune un domaine en Castillon. Et chez nous (Banton), nous possédons aussi trois hectares en Saint-Émilion. Nous sommes en bio depuis 2007, et nous sommes passés en biodynamie en 2020. Nous, comme prestataire, nous pouvons témoigner par nos exploitations de nos savoir-faire. La propriété nous sert de R & D, mais aussi d’espace de formation pour le travail du sol, pour des formations plus spécialisées.
Comme nous devons vinifier pour nous, et que nous assurons cette prestation, nous avons dans nos équipes un œnologue, huit maîtres de chai, tout ce qu’il faut pour la réception de vendanges, le nettoyage des barriques, la filtration.
C’est cette quête de service qui a fait que nous avons acquis des compétences dans les traitements des effluents vitivinicoles et la mise en place de stations de lavage par notre filiale bâtiment. Nous avons une filiale sur la filtration (blancs, rouges, osmose). Et nous avons développé notre activité événementielle, car à Bordeaux, nous avons besoin de nous renouveler, et que nous avons besoin de créer des événements.
Votre entreprise est l’illustration de la montée en puissance des entreprises de pres- tations de services à la vigne. Vous êtes devenu un poids lourd du secteur.
Pour vous donner quelques chiffres, aujourd’hui, nous avons une flotte de 183 véhicules (pour favoriser la mobilité de notre personnel). 38 machines à vendanger, 26 ou 27 enjambeurs, 40 tracteurs, 1 500 m2 de matériel de chai (tables de tri optique ou densitométrique, pressoirs, ). Nous réalisons en moyenne 2 millions d’euros d’investissement en matériel par an. Nous étions encore récemment le 2e client monde chez Pellenc, et le 1er client monde chez Buscher-Vaslin.
Le poids croissant des prestataires à la vigne
En 2009, en France, les 12 900 entreprises de travaux agricoles (ETA) employaient 58 345 travailleurs. En 2018, les 13 600 entre- prises employaient 87 522 travailleurs. Les ETA, pour le seul département de la Gironde, en 2018, employaient 15 928 emplois à l’agriculture et à la vigne (6 exploitations sur 7 en Gironde sont viticoles), dont 70 % d’hommes et 30 % de femmes. Ce qui montre que 18 % des travailleurs en ETA en France exercent en Gironde. La fédération régionale des Entrepreneurs de territoires de Nouvelle-Aquitaine, qui regroupe ETS (sylviculture), ETF (forestiers) et ETA (agriculture) en 2021, lance une étude pour connaître le poids économique du secteur, le parc matériel.
En France, une étude parue en juillet montre que 70 % des exploitations agricoles font aujourd’hui appel à un prestataire. Le secteur de la viticulture est fortement consommateur, pourtant, les Entrepreneurs du territoire (vous êtes vice-président sur la Gironde) semblent peu visibles.
Peut-être que notre association n’est pas assez valorisée. Mais notre métier est de plus en plus reconnu au niveau national, au ministère de l’Agriculture, mais aussi auprès de FranceAgriMer. Nous avions été mis à contribution en amont dans les dispositifs d’aides du plan de relance.
Comment se traduit la présence de votre métier à l’échelle locale ?
Nous nous sommes rapprochés du CIVB dans la démarche RSE « Bordeaux Cultivons Demain ». Nous réfléchissons à une charte entre prestataire et client, pour davantage de transparence et de dialogue. Parfois, le regard de la viticulture est de s’étonner de la multitude de prestataires et du crédit qui peut lui être apporté. Il y a plusieurs critères à prendre en ligne de compte. L’âge de l’entreprise, l’expérience des personnes qui y exercent. Quant au prix, il faut être logique. C’est comme quand vous descendez à l’hôtel. Si on vous propose une prestation de 5 étoiles au prix d’un routier, il y a fort à parier qu’il y a quelque chose qui cloche.
Face au manque de main-d’œuvre, la tenta- tion du recours aux robots doit éveiller votre curiosité ?
C’est une éventualité que nous n’écartons pas. En 2019, j’ai regardé ce virage technologique avec attention (lors des démonstrations en Bordelais ou en salon). Je me suis rapproché des prestataires avec lequel nous travaillons déjà pour savoir s’ils avaient des projets de ce côté-là. Dans le même temps, j’ai pris contact avec Naïo et Vitibot. Ils m’ont expliqué que dans l’immédiat, leur philosophie est de se développer seuls, sans partenariat avec les autres acteurs de la filière. Aussi, je continue d’observer. Dans l’immédiat, nous formons des tractoristes, en relation avec Agricap Conduite à Montagne-Saint-Émilion.
> Propos recueillis par Emmanuel Danielou