La Safer alerte de la nécessité cruciale de légiférer sur le marché foncier

Le 16 septembre, la SAFER Nouvelle-Aquitaine a tenu son assemblée générale à Bruges, devant une assemblée clairsemée du fait de la situation sanitaire. Pour le monde agricole, il y a urgence à légiférer sur le foncier agricole, « non pour interdire, mais pour réguler ». Aujourd’hui, près des deux tiers des surfaces agricoles qui font l’objet de transactions échappent, en toute légalité, au regard de l’organisme de régulation. Ce qui pénalise l’installation des jeunes notamment.

Patrice Coutin (à gauche), président de la Safer Nouvelle-Aquitaine et Philippe Tuzelet directeur.

Lors de sa campagne, puis dès sa prise de fonction, le Président Emmanuel Macron avait mis au cœur des débats la nécessité de légiférer sur le foncier agricole. Assez vite, le 24 janvier 2018, une commission a été mandatée à l’Assemblée nationale pour aborder la question. Les deux députés rapporteurs en étaient Anne-Laurence Pétel (Bouches-du-Rhône – LREM) et Dominique Potier (Meurthe-et-Moselle – PS). Ce rapport a été présenté le 5 décembre 2018. Au salon de l’Agriculture 2019, Emmanuel Macron avait affirmé que sur une loi foncière, il était « hors de question de reculer ».
Sauf que depuis, le dossier ne semble pas avancer, et les échéances électorales majeures approchent, ce qui signifie moratoire dans les sujets de fond. Pourtant, les organisations agricoles, et la Safer en tête, estiment qu’il y a urgence à légiférer. La raison ? les pratiques de transaction des terres agricoles ont évolué dans le temps. Le schéma du père vendant son exploitation à ses enfants est devenu moins fréquent.

Montée en puissance des parts sociales. Tandis qu’en ville, on achète en société civile immobilière, à la campagne, on s’est converti aux sociétés civiles d’exploitation agricole. Tout est légal. C’est une autre façon d’assurer les transmissions. « Aujourd’hui, ce sont les deux tiers des échanges fonciers qui se font via les parts sociales, constate Philippe Tuzelet, directeur de la Safer Nouvelle-Aquitaine. Sachant qu’un quart de ces échanges sont des transmissions de parts familiales. »

Dans l’esprit de la création de la Safer, pour permettre une régulation de l’offre foncière agricole et éviter les spéculations outrancières, cela pose souci. Jusqu’en 2016, les transactions de parts sociales de ces sociétés se faisaient en toute légalité, mais en toute opacité. « Depuis 2016, il y a une obligation de notification, souligne Patrice Coutin, président de la Safer Nouvelle-Aquitaine. Sur la région, en 2019, ce sont 1 221 opérations notifiées (+8 %) ; 33 683 hectares détenus ou exploités, pondérés à la proportion de parts vendues (estimation) (-4 %), soit la valeur de 445 millions d’euros (+14 %). »

Ces terres achetées via des parts sociales ont été acquises pour 1 206 par des sociétés françaises, 12 par des sociétés européennes, et 3 par des sociétés asiatiques. « C’est l’arbre qui cache la forêt, souligne Hervé Olivier, directeur adjoint de la Safer. La plupart du temps, les sociétés sont domiciliées en France, mais avec des actifs financiers qui viennent du monde entier. » Or, sur les 1 221 transactions réalisées en 2019, seules 5 % d’entre elles ont été des transactions où ont été échangées la totalité des parts.

40 % des terres agricoles auront changé de main dans les dix ans

95 % des cessions de parts sociales échappent à la Safer. La réalité est que la Safer ne peut intervenir que lors des cessions totales de part pour participer à la régulation du marché. « Donc, 95 % de ces cessions échappent à la Safer. » Au final, entre les transmissions classiques et par parts sociales, les deux tiers des transactions échappent légalement à la régulation. Sur le terrain, on observe que les prises de participation engendrent « des changements d’exploitants. On a le sentiment que l’on ne nous notifie pas tout, regrettent élus et permanents de la Safer. On observe le recours du travail à façon de façon croissante. C’est-à-dire qu’un propriétaire met son foncier à disposition pour une entreprise. Nous avons des Parisiens qui vivent à Paris, qui contrôlent des surfaces importantes, et qui ne mettent jamais les pieds sur le terrain… » Pour Jean-Luc Niveau, vice-président de la Safer Nouvelle Aquitaine, cela va même à l’encontre du bon sens : « Le consommateur demande un produit local, mais en propriété foncière, c’est l’inverse qui se passe. »
Si le monde agricole appelle de ses vœux à légiférer, c’est qu’une situation d’urgence arrive : « La moitié des agriculteurs ont plus de 50 ans, souligne Philippe Tuzelet, directeur de la Safer NA. Dans les dix ans qui viennent, plus de 40 % du foncier agricole aura changé de main. La société nous parle de ruralité, attention à ne pas vider les campagnes. Plus une exploitation s’agrandit, et plus on baisse l’activité humaine. »


« Face aux dérives, il ne s’agit pas d’empêcher, mais de réguler »

Un rôle de lanceur d’alerte. Demander une loi foncière pour permettre la régulation du marché foncier correspond à un besoin : « On constate des dérives. Elles ont été soulevées par une étude de l’IINRAe. En France, on a un grossissement des exploitations, et une baisse du nombre d’agriculteurs, observe Patrice Coutin. Nous avons besoin d’outils de régulation, car on remarque des trous dans la raquette de nos dispositifs. Il faut donc que les choses bougent, non pas pour empêcher, mais pour réguler ! »
Michel Lachat, directeur du service départemental de la Safer en Gironde, explique pourquoi l’organisme martèle ce besoin : « Il y a quelque temps, les Safer alertaient sur l’artificialisation des terres agricoles, et nous avons été entendus. Aujourd’hui, on joue notre rôle de lanceur d’alerte sur la nécessité d’une loi foncière. »

Faire de la place aux jeunes. Dans ce besoin de réguler le marché, deux éléments prédominent :
1 – Éviter la spéculation foncière dans le but de maintenir l’indépendance alimentaire. En France, le prix moyen à l’hectare en terre et pré est de 6 000 €/ha (148 100 €/ha de moyenne pour la vigne). « Il faut avoir à l’esprit que la France est le pays d’Europe avec le prix du foncier le plus bas ! Il est près de cinq fois supérieur en Belgique ou en Italie (25 000 €/ha), pays qui, pourtant, possèdent aussi des outils de régulation. »
2 – Permettre l’accès aux jeunes agriculteurs à la terre. La Safer a développé de nombreux outils pour permettre l’installation des jeunes à moindre coût. Un dispositif permet même de réduire de 50 % les frais notariés (avec un plafond à 1 500 €). Ces dispositifs sont même ouverts jusqu’aux exploitants de moins de 50 ans. En 2019, sur la Nouvelle-Aquitaine, 4 700 hectares ont été attribués à 383 jeunes agriculteurs en cours d’installation (29 000 hectares ces cinq dernières années pour 2 100 jeunes agriculteurs).
Autre constat de la Safer en 2019, et bien plus fortement en 2020, l’installation d’urbains en milieu rural. Et l’explosion du site internet dédié www.proprietes-rurales.com.

■ E. D

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