Julien Denormandie : « La rémunération des agriculteurs n’est pas reconnue ! »

Pierre-Henri Cozyns (à gauche), château Haut-Launay à Teuillac, expliquait au ministre Julien Denormandie l’attente d’actes politiques sur l’accompagnement agro-environnemental.

Samedi 30  août, à quelques jours de l’annonce du plan de relance de l’État, Julien Denormandie, ministre de l’agriculture, rencontrait les viticulteurs de Gironde à Bourg, quelques jours après avoir soufflé ses 40 bougies. L’ingénieur agronome de formation annonçait avec fermeté vouloir « se battre pour que vous vous en sortiez. La rémunération des agriculteurs n’est pas reconnue. Je l’écrivais encore ce matin au ministre de l’Économie ! »

« Je me battrai, corps et âme, pour qu’à la fin des fins, vous vous en sortiez ! Aujourd’hui, la rémunération des agriculteurs n’est pas reconnue ! » Julien Denormandie est un jeune ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Et c’est avec verve et fougue qu’il est descendu de sa voiture samedi 29 août, a enjambé un fossé d’un saut de cabri et est allé discuter avec de jeunes vignerons qui manifestaient leurs inquiétudes à Teuillac, à quelques kilomètres de Bourg-sur-Gironde.

« Si ça continue, je mets
la clé sous la porte »

Dans le comité d’accueil, Damien Labiche, château Tour Birol. Le béret vissé sur la tête, il explique sa situation : « Moi, ça va faire deux ans que je ne me verse plus de salaire, j’ai deux enfants en bas âge, si ça continue comme cela, je mets la clé sous la porte… On s’était mis la corde au cou comme symbole pour vous accueillir, les gendarmes nous ont demandé de l’enlever. Mais on en est là Monsieur le Ministre, dit-il en posant sa main en haut de la poitrine pour exprimer cette réalité d’être pris à la gorge. Il va y avoir des drames. Dans notre entourage, on a tous un copain qui s’est foutu en l’air… »
À ses côtés, Isabelle Chéty, Château Mercier, souligne la tension dans les campagnes : « On vend notre vin moins cher que ne le faisaient nos parents ! » Un autre vigneron de lâcher à l’intention du ministre : « La distillation, c’est un pansement. Et je vous le dis, produire du vin pour fabriquer du gel hydroalcoolique, c’est un crève-cœur ! »
Julien Denormandie compatit : « C’est pour cela que j’ai décidé que dans l’aide des 250 millions d’euros, on booste le stockage plutôt que la distillation, car ça me fait mal aux tripes comme vous, de faire de la distillation de notre belle production, je préfère qu’on la stocke ! »

Julien Denormandie :
« La viticulture,
je ne la lâcherai pas ! »

Sur les montants, le ministre se mettait en réserve tant que Matignon ou l’Élysée n’auront pas fait d’annonces chiffrées du plan global de relance. Mais deux mois après sa prise de fonction, l’ingénieur agronome de formation exprimait sa volonté de faire corps avec le monde agricole et viticole : « Je suis un gros travailleur, comme vous. Je vais bosser avec acharnement contre ceux qui vendent à bas prix. Je ne veux pas que vous soyez la variable d’ajustement. Je vous le promets, on va se battre. Mais jamais je ne vous dirai un truc que je ne peux pas faire ! »
Sur la question plus spécifique de la viticulture, Julien Denormandie se pose comme un défenseur proclamé, après une visite à Sancerre le 5 août au côté de Jean Castex, et une seconde à Bourg-sur-Gironde le 29 août : « Notre beau vignoble est une part de notre identité et de l’identité nationale. Nos beaux vins, qui sont des appellations connues dans le monde entier, et enviées du monde entier, je les bois. La viticulture, je ne la lâcherai pas. Sur la HVE 3 par exemple, vous êtes aujourd’hui le premier territoire du monde, ici, en Gironde ! Vous êtes aussi engagés en bio ou en biodynamie. Et le rôle du ministre est d’accompagner cette transition. Mon rôle est de me battre pour cette excellence française, et pour l’excellence de l’alimentation française. »
Quand la presse fait remarquer au ministre que les aides, à coups de milliards dans d’autres secteurs d’activité, paraissent bien faibles pour la viticulture, avec 260 millions d’euros au compteur, il écarte la critique d’un revers de main. « La réalité n’est pas celle-là. Pendant tout le printemps et tout l’été, nous avons fait un gros travail de soutien. Nous devons réfléchir dans une démarche de projection : comment on construit l’agriculture de demain. Et dans le plan de relance, nous allons définir les secteurs sur lesquels nous voulons miser. L’agriculture a une place importante dans ce plan de relance. C’est un secteur pourvoyeur d’emplois. On travaille à des mesures de financements en agroéquipement, pour faire face aux aléas climatiques, pour dynamiser les circuits courts, pour permettre des lieux de stockage. Nous engageons la réflexion à court et moyen terme. Ça passe par une agriculture forte vis-à-vis des transitions. Et des agriculteurs rémunérés à leur juste valeur. »
Sur les exonérations de charges patronales retoquées à l’Assemblée nationale, le ministre reprend le dossier en main : « Beaucoup de viticulteurs n’ont pas réussi à bénéficier de ces exonérations. Nous travaillons avec la filière et les parlementaires pour y accéder ! »
Pierre Henri Cozyns, propriétaire de château Haut-Launay à Teuillac, où le ministre était reçu, chaussait sa casquette de vice-président des Vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine pour aborder la question du lissage du cuivre (fixée à 4 kg par hectare et par an) : « À chaque ré-homologation de produit cuprique, l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) rajoute une phrase qui, à terme, fera que l’on n’aura plus le lissage du cuivre. » Pour éviter une telle épée de Damoclès, qui serait un coup d’arrêt au développement du bio et à la démarche environnementale globale de la viticulture, le vigneron en appelle au ministre : « Pour le lissage, il faut un acte politique, un décret. » Selon lui, le lissage est un garde-fou, une protection pour favoriser la transition environnementale : « Autant quand on maîtrise le bio après 4-5 ans, on diminue les doses, mais pour rassurer les opérateurs pendant la période de conversion et éviter les échecs, on a besoin de cette sécurité. Ce serait une bonne mesure pour aider l’agrobiologie et la conversion, mais aussi la certification haute valeur environnementale (HVE), la biodynamie… Et les freins sont plus nationaux qu’européens ! »
Le ministre sort papier et crayon de sa poche, note les arguments présentés et se tourne vers Pierre-Henri Cozyns : « Je vois cela et je reviens vers vous ! »
Puis le ministre gagne la vigne. Coupe quelques grappes de sauvignon gris puis remonte dans la voiture qui le ramène à Paris. Un nuage de poussière accompagne le convoi d’une rencontre qui aura duré quelques heures.
Pierre-Henri Cozyns, hôte de la délégation. « J’ai très bien vécu cette visite. Le ministre est très accessible. Il est à l’écoute des problématiques pour favoriser le développement de l’agrobiologie, comme le lissage ou les produits bio au même titre que les produits de biocontrôle pour les ZNT. »
Bernard Farges, président du CIVB et de la CNAOC. « On lui a rappelé les 600 000 emplois de la viticulture, les milliards pour l’aéronautique et l’automobile. On l’a questionné sur le plan de relance et la place de la viticulture. À ce jour, aucune annonce. mais on observe deux déplacements dans le monde viticole en un mois. On sent quelqu’un de plus concerné. »
Véronique Hammerer, députée LREM nord Gironde, à l’origine de la venue du ministre : « Dans le bordelais, ça bouge. On parle de bio, de haute valeur environnementale. Nous avons un ministre plus ouvert, plus à l’écoute. Mais on sait que là où ça coince, c’est à Bercy. Nos députés du groupe « Vins et Œnologie » vont aborder la question des exonérations à nouveau. Il ne faut rien lâcher. »
Jean-Marie Garde, président de la FGVB : « Chacun a pu s’exprimer avec le ministre, et nous avons balayé tous les problèmes de la viticulture. Nous avons abordé les questions du plan de relance, de ce qui était positif. Sur les exonérations de charge, nous avons exprimé des réserves. Sur les questions environnementales, il a l’air très au courant. Face à la brutalité des aléas climatiques dont nous souffrons, nous avons évoqué la possibilité de mutualiser les risques pour que les coûts d’assurance soient moindres. »
Cédric Coubris, président des Vignerons indépendants de Gironde : « Nous avons dit ce que nous avions à dire sur le stockage privé, les certifications environnementales, etc. Nous avons su montrer la solidarité et l’unité de la filière girondine. »
Jean-Samuel Eynard, viticulteur à Bourg et président FNSEA 33 : « On a parlé de tous les sujets de la viticulture. On s’est félicité des hausses pour la distillation, des mesures de stockage privé. On a parlé des mesures agro-environnementales prises à l’échelle régionale et que l’État freine. Une liste de sujets que l’on aborde régulièrement à la FGVB. »

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